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Stratégie grands comptes 2/5. Mission : s’adapter au profil de chaque client

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Puisqu’elle ne vend pas, que fait-elle ? La direction grands comptes noue et pilote de A à Z la relation entreprise-client. Tout en défendant les intérêts des deux parties.

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Supervendeur, le responsable grands comptes ? Surtout pas ! Si la direction des grands comptes est, dans toutes les organisations, l’“autre” volet de la force de vente, sa mission n’a rien de commun avec celle d’un commercial terrain. Pourtant, dans certains cas, les key account managers possèdent aussi une casquette de vendeurs “ordinaires”. « Les deux écoles cohabitent, explique Catherine Pardo, professeur de marketing B to B à L’EM Lyon. Mais il est certain qu’un responsable grands comptes qui se frotte, en parallèle, à la vente terrain fait bénéficier l’entreprise des progrès accomplis sur les grands clients. » En outre, il gardera un ancrage dans le commercial. Car « en tant que responsable grands comptes, il n’est pas là pour vendre, affirme sans ambages Catherine Pardo, mais pour piloter la relation entreprise-client. » Une relation qui revêt une grande complexité, s’inscrit sur le long terme et représente, par définition, un enjeu stratégique pour l’entreprise. Mais que fait, au juste, cet étrange animal qui ne vend pas ? Selon Évelyne Platnic-Cohen, associée au cabinet conseil Consonance et auteur d’un ouvrage intitulé Le Vade-mecum de la vente opérationnelle aux grands comptes*, la mission de la structure grands comptes peut se découper en quatre volets. « Primo, explique-t-elle, elle doit œuvrer pour comprendre en profondeur sa propre entreprise, ses produits et la valeur ajoutée qu’elle est susceptible d’apporter aux clients. » Ce qui suppose, bien entendu, de maîtriser aussi sur le bout des doigts les offres concurrentes. « Cela peut sembler évident, mais ne l’est pas toujours ! », souligne Évelyne Platnic-Cohen. Dans des secteurs à fort contenu technologique, par exemple, l’entreprise peut être amenée à plancher des mois sur le développement d’une offre sur mesure : mise en place de plates-formes d’e-procurement, conception de solutions progicielles ad hoc, etc.

L’information, un trésor de guerre

Deuxième volet de la mission du responsable grands comptes : le décryptage exhaustif de l’entreprise cliente. « Il doit être capable d’en décrire précisément les rouages, les hommes, l’offre, les enjeux et projets, les priorités, la culture, etc. », insiste Évelyne Platnic-Cohen. De son côté, Catherine Pardo exhorte les entreprises à se doter, pour chaque grand client, d’un document de référence qui servira de bible à l’“équipe compte”, c’est-à-dire à tous les services qui vont être mobilisés, à un instant T, au bénéfice du key account. « Cette revue de compte, indique-t-elle, recensera l’historique du client, le descriptif des affaires en cours, des projets, de la stratégie, une synthèse sur la relation entreprise-client, l’organigramme actualisé et enrichi (commentaires sur le rôle des différents décideurs) et, enfin, des annexes. » Autant d’informations qui, si elles sont couchées sur le papier, serviront à toute l’entreprise et lui éviteront d’être démunie en cas de départ du responsable comptes clés. « Il faut veiller à ne pas être totalement dépendant de ce personnage clé, conseille la porte-parole de Consonance. S’il est seul à détenir les données stratégiques, alors le fournisseur court un véritable risque. » Car c’est bien là le premier capital de la cellule comptes clés : l’information. C’est elle qui va permettre à la cellule comptes clés de cerner le profil de son interlocuteur, et donc de s’y adapter. « La connaissance client est un enjeu déterminant, reprend Évelyne Platnic-Cohen, et elle ne se limite pas aux attentes en termes de produits. Il est, ainsi, primordial de connaître ses valeurs : si, par exemple, elle s’est investie dans un projet de développement durable, elle favorisera les fournisseurs partageant son éthique. »

Une relation gagnant-gagnant

Troisième responsabilité du responsable comptes clés : l’établissement d’un partenariat fournisseur-client qui, dans la moitié des cas, est formalisé à travers un contrat. Et le négociateur de ce contrat cadre est, bien sûr, le responsable grands comptes. « Tous les aspects de notre vie commune avec nos grands clients font l’objet de clauses spécifiques », précise Lionnel Delaunay, responsable des grands comptes au sein du pôle aéronautique de Siemens SAS, branche industrie du groupe éponyme. L’objectif ? « Plus le contrat est verrouillé, répond Évelyne Platnic-Cohen, mieux l’entreprise se protège de l’arrivée d’un concurrent. » Mais ce partenariat n’obéit pas seulement à une logique défensive : plus que jamais, il s’agit d’un rapport gagnant-gagnant, où le responsable comptes clés défend tout autant ses intérêts que ceux de son client. Pour Pierre Moatti, directeur commercial France de la société Decléor (cosmétiques haut de gamme), « le responsable grands comptes doit garantir aux deux partenaires une rentabilité optimale. Ce qui signifie, précise-t-il, qu’il doit savoir, de temps à autre, dire non dans l’intérêt de l’une des deux parties ! » Concrètement, il fera, par exemple, porter ses efforts sur la revente, ou “sell out”, plutôt que sur le “sell in”. « Cela passe par la conception d’une stratégie de trade marketing, explique Pierre Moatti, l’établissement de plans d’enseigne et d’un suivi d’activité pour chaque point de vente. Sans oublier la réactivité et la créativité, qui font la différence d’un fournisseur à l’autre et nous permettent d’adapter nos actions aux spécificités de chaque distributeur. » Une situation qui n’est pas sans créer quelques tensions entre force de vente terrain et cellule comptes clés. « Cette dernière monte de vastes opérations de création de trafic auprès des grandes enseignes, dans des villes où nous avons aussi des revendeurs indépendants », confie le directeur commercial de Decléor. Du coup, les représentants ont parfois peur que ces initiatives ne leur portent ombrage. « Un problème hélas très fréquent », confirme Catherine Pardo, de l’EM Lyon, qui évoque une « rivalité liée au caractère stratégique de la fonction et aiguisée par sa relative nouveauté. Pour vaincre cette inimitié, indique-t-elle, l’idéal est de favoriser l’étude des meilleures pratiques grands comptes et de les généraliser aux autres clients. » Une méthode qui permettra aux vendeurs terrain de recevoir leur part du gâteau, et à l’entreprise de doper ses indices de satisfaction.

Une collaboration dans la durée

Enfin, la cellule devra gérer la relation entreprise-client, par-delà l’acte de vente. « Charge à elle de veiller au respect du plan établi, note Pierre Moatti. Mais cela ne suffit pas : il lui appartient également de s’assurer du développement du chiffre d’affaires et du maintien de la marge. » Pour cela, le responsable comptes clés devra se munir d’outils, développer ses propres tableaux de bord et même créer un compte d’exploitation pour chaque grand client. Il devra, en outre, être force de proposition, innover au service de son entreprise et de son client, « prendre toutes les décisions qui s’imposent, pour la cause de sa société et pour celle du compte clé », comme en témoigne, chez Siemens SAS, Lionnel Delaunay. Autre tâche cruciale : la gestion de l’après-vente, qui comporte un volet factuel – chaque étape de la collaboration devra se dérouler sans anicroche – et un volet humain. Il s’agit de garantir un niveau optimal et constant de confiance car, selon les termes de Pierre Moatti, « deux ans de travail peuvent s’effondrer en deux minutes ». Or, la pérennité de la relation de confiance que l’on a instaurée avec le siège est l’un des meilleurs boucliers contre cette épée de Damoclès. Enfin – last but not least –, la mission du directeur grands comptes s’étend jusqu’à la veille, qu’elle soit technologique, concurrentielle, sectorielle, etc. « Nous attendons de lui qu’il se crée un réseau d’informateurs », affirme le porte-parole de Decléor. Le responsable comptes clés devient, dès lors, un veilleur chargé de se tenir à l’affût de la moindre indiscrétion porteuse d’opportunité, du moindre projet gouvernemental représentant un danger… On n’est pas si loin, ici, du lobbying. (*) Le Vade-mecum de la vente opérationnelle aux grands comptes, Évelyne Platnic-Cohen, Éditions EMS, mai 2002.

Témoignage

Henri Attias, directeur des grands comptes de Sidel, fabricant d’équipements de conditionnement « Un responsable grands comptes doit rester en contact avec le terrain » Sidel s’est doté, il y a deux ans, d’une structure grands comptes. Composée, à l’origine, de deux personnes, elle en regroupe cinq aujourd’hui. Son rôle : « Bâtir, pour des clients possédant des centres de décision dans le monde entier et ayant une organisation décentralisée, des offres cohérentes, parfaitement coordonnées. » Une mission qui n’intègre pas réellement de négociation. « Si nos international key account managers (Ikam) peuvent discuter des tarifs généraux, ils sont surtout là pour résoudre des problèmes liés à l’équipement et pour réfléchir au développement de nouvelles solutions. Ils peuvent, par exemple, coordonner l’action d’une équipe technique Sidel chargée de répondre à la problématique d’un grand compte en matière d’hygiène. » Et le reste du temps ? « Ils le passent sur le terrain, répond Henri Attias. Nos Ikam sont aussi des commerciaux “traditionnels”, et cela les occupe 70 % du temps. »

Avis d’expert

Catherine Pardo, professeur de marketing B to B à l’École de management (EM) de Lyon « Une mission de chef d’orchestre » Pour Catherine Pardo, « la mission d’une cellule dédiée aux grands clients est de décider, avec l’accord de sa hiérarchie, d’une stratégie à mettre en place vis-à-vis des comptes clés, puis de donner aux divers services de l’entreprise les indications nécessaires au déploiement de cette stratégie ». Ce qu’elle appelle l’équipe compte – une équipe constituée de façon exceptionnelle autour d’un client – doit se mobiliser, à un instant T, au profit d’un client. « Pour cela, le responsable grands comptes devra réussir à exercer une autorité sans avoir de lien hiérarchique avec ses collaborateurs, indique-t-elle. C’est l’une des difficultés de l’exercice. » Autre point épineux : la délégation. « Si le directeur grands comptes est l’interlocuteur privilégié des grands clients, il ne doit pas en être l’interlocuteur unique ! Il risqueraitde se laisser déborder, au risque de négliger sa mission stratégique. » D’où la nécessité d’être « informé de tous les flux d’information » sans devenir le « guichet unique ».

À retenir

Une cellule grands comptes n’est pas là pour vendre. Sa mission n’est pas celle de la force de vente terrain. Le responsable grands comptes doit comprendre en profondeur l’offre de sa propre entreprise et la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à son client. Le décryptage de l’organisation (offre, organisation interne, etc.) et de ses enjeux permettra au fournisseur d’apporter une réponse personnalisée. Ensuite, il appartient à la direction des grands comptes de jeter les bases d’un partenariat fournisseur-client, en défendant tout autant les intérêts des deux parties. Enfin, la cellule gère la collaboration au-delà de l’acte de vente, entretient la relation de confiance et assure un travail de veille.

 
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Stéfanie Moge-Masson

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