[Tribune] Où sont nos leaders ?
Les vrais leaders se font rares... Que ce soit dans le monde de l'entreprise, ou, à plus grande échelle, dans le monde tout court, ce manque se fait cruellement sentir. Le point avec Emmanuel Toniutti, président de l'International Ethics Consulting Group et professeur de leadership à HEC.
Je m'abonne Le leadership nécessite avant tout de croire en soi et à ce que nous entreprenons. Comment donner du sens, affronter les crises, conduire les conflits et s'adapter au changement si ce n'est par la confiance que nous avons en nous-mêmes ? La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Elle est le résultat de la capacité personnelle à accepter ses faiblesses, à assumer ses forces et à savoir intégrer ses propres doutes. À partir de là, nous pouvons bâtir une équipe solide avec laquelle nous allons, en commun, partager des valeurs humaines fortes, identifier une vision du futur réaliste et ambitieuse, définir des objectifs stratégiques clairs à atteindre sur un temps défini, mettre en place des règles de fonctionnement simples et efficaces mais aussi évoquer les doutes qui nous traversent.
Ces conditions réunies, nous serons en mesure de transmettre du sens, traverser ensemble les difficultés auxquelles nous serons confrontés et prendre les décisions qui s'imposent en face des situations délicates. La réalité est cependant loin de la théorie. Où sont nos leaders ? Nos meneurs ? Nos chefs de meute ? Ils sont malheureusement souvent très loin du terrain, très éloignés des problématiques que leurs managers et leurs collaborateurs ont à gérer au quotidien, satellisés dans les sphères du pouvoir et de l'argent.
En règle générale, toutes cultures confondues, l'absence des leaders sur le terrain peut essentiellement provenir de trois facteurs : soit ils manquent cruellement de réalisme, soit ils n'osent pas dire la vérité par lâcheté ou bien par peur du résultat de l'effet de cette vérité sur les personnes, soient ils sont impuissants. Comme nous le rappelle Aristote dans son Éthique à Eudème, le courage est le juste équilibre entre la lâcheté et la témérité. Il existe beaucoup de lâches, de nombreux téméraires et peu de courageux. Le courage n'est pas naturel à l'être humain. Il se construit, il demande entraînement, accompagnement, confrontation à ce que nous n'aimons pas de nous-mêmes et des autres. Bien que chacun de nous puisse être courageux, la lâcheté et la témérité sont souvent le résultat d'un manque de réalisme. Afin de comprendre pourquoi nous manquons cruellement de leaders aujourd'hui, il nous faut donc regarder la réalité de l'environnement mondial dans lequel ils évoluent quotidiennement.
Sur le plan politique, les États sont soumis au pouvoir de la finance, des banques et des fonds d'investissement. Ce sont le Fonds Monétaire International et la Banque Centrale Européenne pour ce qui concerne l'Occident qui, à titre d'exemple, décident pour les États européens. Et ceux-ci, plongés dans une situation complexe difficile, gèrent leurs finances sans être en mesure de réduire leurs déficits. La question leur est posée de partager équitablement les ressources. Les déficits étatiques sont le résultat du gaspillage et des acquisitions inutiles qui servent le pouvoir et la réélection de certains à défaut de servir, comme il se devrait, le citoyen.
Lire aussi : « Amélioration, digitalisation, innovation : notre leitmotiv » Delphine Bouclon, groupe Châteauform'
Sur le plan économique, les entreprises sont soumises à la dictature de la finance ultralibérale d'origine américaine et des grands groupes financiers et industriels qui fonctionnent sous forme de monopoles, imposant leurs règles de fonctionnement à leurs fournisseurs et à leurs clients. Le retour sur investissement à deux chiffres est devenu une obsession, voire une quête mythique. Nos dirigeants osent nous parler de reprise de la croissance. Mais la vérité est que la croissance, telle que nous l'avons connue jusqu'à aujourd'hui en Occident, est terminée. Nous avons atteint le maximum de nos possibilités de développement actuel. Il va falloir nous orienter différemment pour le futur. La vérité est que nous avons privilégié de manière généralisée le modèle de création de valeur pour l'actionnaire en oubliant que toute entreprise et organisation se constituent d'abord pour créer de la valeur pour le client. Nous avons détruit nombre de nos potentialités créatrices. En ce sens, la crise des subprimes de 2008, bien qu'il fût enseigné dans toutes les Grandes Écoles que la crise systémique était impossible, nous a montré les limites d'un système valorisant essentiellement le critère de réussite de l'argent.
NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles
La rédaction vous recommande