Incentiver en période de crise, par Jean-Michel Moutot (Audencia)

Jean-Michel Moutot, professeur de management à Audencia Business School (Nantes), souligne l'importance de motiver efficacement les commerciaux, a fortiori quand les ventes se tendent.
Je m'abonneEn cette période d'incertitude politique et économique, quels sont les enjeux majeurs pour les commerciaux ?
Nous sommes entrés dans une période délicate de retournement de cycle économique : les ventes sont plus difficiles à réaliser, et pour certaines entreprises, il y a même un enjeu de survie. Cela impacte en premier lieu les équipes commerciales, qui doivent produire plus d'efforts, sans pour autant parvenir à un résultat supérieur.
Se pose donc immédiatement la question de la motivation : comment le commercial va-t-il vivre le fait de se surpasser sans que sa rémunération ne suive, pourra-t-il supporter une pression que ses collègues des autres services ne connaissent pas ?
Les vendeurs peuvent se trouver en proie à un sentiment d'iniquité, de ras-le-bol ou de saturation, a fortiori si leur management accentue la pression sur leurs épaules pour obtenir du résultat. La motivation est d'autant plus importante que, sur un temps long, l'écart de performance entre un commercial peu motivé et un commercial motivé va du simple au double.
À quels comportements le management peut-il se heurter ?
Les situations d'urgence génèrent des comportements particuliers ; on l'a vu lors de la crise sanitaire, quand des personnalités ternes, dont le management n'attendait pas grand-chose, se sont révélées très efficaces, alors même que d'autres, qui avaient le leadership et s'investissaient dans le jeu politique de l'entreprise, se sont effondrées. Car les relations au sein de l'entreprise et avec les clients ont profondément évolué lors de la crise Covid.
Les vendeurs peuvent se trouver en proie à un sentiment d'iniquité.
Une période difficile peut, d'un côté, décourager certains commerciaux et les inciter à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte. Certains se feront recruter par un client, ou feront un pas de côté dans un secteur connexe, moins touché par la crise. C'est un véritable risque pour l'entreprise, qui peut voir sa stabilité menacée par le départ des vendeurs. Il est très dangereux de laisser partir des commerciaux en période difficile. D'un autre côté, la difficulté peut stimuler certains vendeurs qui aiment endosser le rôle de sauveurs, ou qui fonctionnent à l'orgueil. Le rôle du management est prépondérant pour gérer les différents profils.
Comment augmenter la motivation des commerciaux dans un contexte tendu ? Faut-il piloter les objectifs de manière plus serrée ?
Certains managers commerciaux auront peut-être le réflexe d'être davantage « sur le dos » de leurs commerciaux, en leur demandant au jour le jour où ils en sont, qui ils ont contacté, etc. C'est un comportement dangereux, car un commercial habitué à une certaine autonomie supportera mal ce contrôle. Plus que jamais, le manager doit se montrer agile et agir sur les deux catégories de motivation : extrinsèque et intrinsèque. Il doit pour cela bien connaître les personnalités qui composent son équipe, et au plan de la rémunération, ajuster les objectifs afin de les rendre plus réalistes dans le contexte.
Motivation extrinsèque et intrinsèque
La motivation extrinsèque naît d'éléments extérieurs : rémunération, primes, avantages en nature, poste obtenu dans l'entreprise, etc.
La motivation intrinsèque repose sur des ressorts personnels, auxquels l'individu accorde de l'importance : équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, autonomie et liberté accordées, climat dans l'entreprise, etc.
Quand un potentiel de marché diminue, le management doit s'adapter et maintenir des objectifs atteignables. Car on sait que l'optimum de performance d'un commercial s'obtient s'il considère qu'il a autant de chances d'atteindre un objectif, que de ne pas l'atteindre. S'il y a déséquilibre et que le commercial estime que son marché devenant plus difficile, il n'a aucune chance d'atteindre l'objectif, il risque fort de lever le pied. À l'inverse, un objectif trop facile n'incite pas à la performance.
Qu'en est-il des opérations d'incentive ? Quelles sont les tendances ?
Les opérations d'incentive, comme la part variable de la rémunération, mobilisent d'autant plus un commercial que celui-ci sait où il en est et a une capacité d'inflexion de la situation. Les incentives sont toujours très utiles, quand le commercial arrive à suivre sa progression et que le management organise une transparence et une saine communication autour des performances de l'équipe.
Lire aussi : L'émotion dans les incentives, clé de la motivation
Il faut prendre en considération le produit, la concurrence et le cycle de vente : à produit standardisé avec une concurrence forte et un prix identique au marché, l'incentive devra être régulier et la récompense de la performance arriver vite. L'importance, pour le commercial et son management, est de réagir rapidement aux opportunités de business. À cycle de vente long, produit de niche et avantage concurrentiel majeur, la nécessité d'incentiver est moins prégnante. Il faudra réfléchir à une rémunération motivante selon la part de risque prise par le commercial.
Faut-il maintenir les team buildings et autres événements de convivialité ?
Oui, en période difficile, les entreprises ont même tendance à intensifier et rapprocher les week-ends et autres séminaires qui permettent de purger les tensions et de se reconnecter à l'équipe de manière différente.
Mais il n'est pas nécessaire pour cela de se rendre à Bali, de faire 10h d'avion et d'héberger les commerciaux dans des hôtels de luxe alors que le reste de l'entreprise souffre et que la direction opère des licenciements dans les fonctions support. Se mettre au vert à 1h ou 2h de route de l'entreprise marche bien, et c'est écologiquement correct.
Encore une fois, pour motiver, il faut prendre en compte la part réelle du commercial dans la réussite ou la perte d'une affaire, sa prise de risque. S'est-il contenté de prendre des commandes, ou bien a-t-il affronté des vents contraires ? C'est toute la question.
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