[Interview] Navi Radjou: "Arrêtez de vendre plus, soyez frugal !"
Les entreprises n'ont plus le choix: elles doivent adopter un nouveau comportement. Alors que le principe de faire mieux avec moins est souvent perçu comme une contrainte, Navi Radjou, consultant en stratégie et spécialiste de l'innovation, redore cette théorie et parle même d'"innovation frugale".
Je m'abonneQuel intérêt ont les entreprises à devenir frugales?
Navi Radjou: Il y a là un réel enjeu business pour elles. Adopter l'innovation frugale, c'est-à-dire faire mieux avec moins, leur permet de créer plus de valeur commerciale et sociale, tout en économisant des ressources précieuses, telles que l'énergie, le capital et le temps. Et il est d'autant plus important que les entreprises passent à l'économie frugale que leurs clients eux-mêmes sont en demande d'une telle évolution. En effet, de récentes études montrent que 71 % des consommateurs américains prennent aujourd'hui en compte le facteur environnement dans leurs achats, contre 66 % en 2008. Et plus de 80 % des Européens estiment que l'impact d'un produit sur l'environnement joue un rôle crucial dans leur décision d'acheter.
Enfin, il est intéressant de constater que 84 % des consommateurs au niveau mondial pensaient en 2014 que les entreprises pouvaient poursuivre leur intérêt commercial tout en contribuant au bien de la société.
Navi Radjou: Les sociétés hésitent à répondre aux attentes réelles de leurs clients.
Comment mettre en place le principe d'innovation frugale?
Avant tout, en écoutant son client. Les utilisateurs sont le premier maillon de la chaîne de l'innovation. Baisse du pouvoir d'achat, éveil des consciences écologiques... de plus en plus de consommateurs deviennent frugaux, même si cette nouvelle voie fait peur aux entreprises, qui hésitent à répondre aux attentes réelles de leurs clients. Mais elles doivent devenir moins arrogantes et croire en l'intelligence des consommateurs ! D'ailleurs, elles n'ont pas à faire face à ce défi toutes seules, puisque le client du futur sera partagé entre plusieurs marques.
Si les entreprises veulent servir les consommateurs et être performantes, elles doivent accepter ce fait et partager des synergies en matière d'offre avec d'autres sociétés. Encore trop d'entreprises se contentent simplement d'affirmer être à l'écoute des clients, mais peu d'entre elles le sont réellement. Pour y parvenir, il faut recourir à ce mantra : "Tomber amoureux du problème, et non de la solution". Certaines entreprises s'y tiennent, en passant un maximum de temps à sonder leurs clients. C'est notamment le cas d'Intuit, société américaine de développement logiciel, qui passe près de 10 000 heures par an à étudier le comportement de ses consommateurs.
Toutefois, cela demande un réel effort de remise en cause et de remise à plat de son organisation. Et comme tout projet de conduite du changement, c'est difficile et complexe. Cela dit, il est intéressant de noter que certaines entreprises attendent de subir un électrochoc pour franchir le pas. Ce fut, par exemple, le cas de Lego qui, proche de la faillite en 2004 après plusieurs innovations ratées, s'est recentrée sur les attentes clients.
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