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Revoir ses processus de décision dans un monde de plus en plus incertain

Publié par Aude David le - mis à jour à
Revoir ses processus de décision dans un monde de plus en plus incertain

S'il a toujours été en constante évolution, le monde dans lequel opèrent les entreprises est devenu beaucoup plus incertain. Or, de nombreux décideurs continuent à agir comme si l'environnement était constitué de risques mesurables, affirment deux chercheurs.

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Si le monde a toujours été risqué, il est désormais devenu incertain. Une différence fondamentale, expliquent les chercheurs Valérie Fernandez et Thomas Houy dans leur dernier ouvrage Déplier l'incertain.

« Le risque naît dans des environnements probabilistes au sein desquels les agents économiques disposent d'informations quant aux probabilités de survenance des événements ». En clair, les individus ne savent pas quel événement va arriver à un moment donné, mais ils savent lesquels sont susceptibles de survenir, et quelles sont les probabilités pour chacun.

Au contraire, avec l'incertitude, « la nature des événements et leur probabilité d'occurrence s'avère inconnue ». C'est-à-dire que les individus ne peuvent pas calculer de probabilités, et ne sont pas à l'abri que survienne un événement qu'ils n'avaient pas du tout anticipé, que ce soit une innovation absolument disruptive ou une crise sanitaire ou sociale.

Or, souvent, les entrepreneurs et décideurs en entreprise continuent d'appliquer la même matrice que quand ils étaient dans un environnement risqué. C'est-à-dire « faire des calculs pour comparer les conséquences de chaque option », déterminer statistiquement la probabilité d'occurrence de chaque option, et faire son choix en conséquence de ces éléments, ainsi que de sa propre aversion au risque.

Un univers où tout est possible

Mais cela ne marche pas, car dans un univers incertain, il est absolument impossible d'effectuer des calculs pour avoir une idée de ce qu'il va advenir, et les événements susceptibles de survenir ne sont même pas tous connus à l'avance : tout est possible.

Pour mener à bien un projet dans un environnement incertain, les auteurs conseillent de « suivre un cheminement fondé sur des explorations, en procédant 'chemin faisant' ». Cela veut dire ne pas bâtir un projet une fois pour toute en se basant sur des probabilités, mais construire un projet par étapes, en adaptant son projet en fonction des premiers résultats, avec un processus très itératif.

Selon les deux chercheurs en théorie des organisations et en management, cela doit entrainer un changement profond dans sa façon de travailler et de décider. Or, face à un changement radical, ils expliquent que les agents économiques sont souvent victimes de plusieurs biais, qu'il faut éviter pour cheminer dans l'incertain :

- Le biais de disponibilité consiste ainsi à réfléchir à partir d'associations d'idées, de raccourcis, de routines mentales, qui font que lors d'un changement important, l'individu continue de baser ses décisions sur des schémas existants, alors qu'ils sont devenus obsolètes.

- Le biais de substitution revient quant à lui à substituer des questions simples à des questions complexes afin de décider plus facilement. Or, une réponse donnée à une question simple ne présage en rien de la réponse à une question complexe, et cela peut être source de beaucoup d'erreurs.

Douze étapes pour avancer dans l'incertitude

Dans leur livre, ils listent douze étapes à suivre pour mener à bien un projet et éviter au maximum les biais. Ces douze étapes se retrouvent d'ailleurs dans un outil qu'ils ont élaboré à destination des décideurs, le Decision Model Canvas (D.M.C). « Ces douze étapes peuvent être comprises comme les douze questions essentielles à se poser pour être assuré de faire des choix pertinents dans un environnement imprévisible ».

Ainsi, la première étape consiste à se demander si les objectifs du projet sont alignés avec ses propres valeurs. En effet, dans un monde incertain, les objectifs n'ont plus la même valeur de fixer un cap et de faire en sorte d'atteindre un certain résultat, car un très grand nombre de variables risque de venir tout chambouler.

En revanche, ils demeurent essentiels, mais pour une autre raison : garantir l'engagement des parties prenantes tout au long du projet. D'où l'intérêt de centrer ces objectifs sur des valeurs fortes.

Le second questionnement concerne les certitudes sur son propre projet. Le but est alors de soigneusement les analyser pour vérifier qu'elles ne proviennent pas de croyances erronées ou de biais de raisonnement.

Le livre s'attarde notamment sur le paradoxe du faux positif, qui explique comment, de façon très contre-intuitive, les conseils de l'expert le plus fiable du monde se révèlent statistiquement mal avisés appliqués à son propre projet. Il démonte aussi le biais des survivants, qui consiste à analyser les projets qui ont réussi et non ceux qui ont échoué, privant ainsi d'informations précieuses sur ce qui conduit à l'échec.

La troisième étape consiste à s'interroger sur les angles morts de son projet, qui peuvent être de trois sortes. Il peut y avoir des éléments que le porteur de projet ignore, mais pour lesquelles il a conscience de son ignorance (savoir quelle sera la météo dans une semaine, par exemple). Il peut y avoir des éléments inconnus auxquels il ne pense même pas (la survenue du Covid-19). Et il y a des éléments qu'il prend initialement pour des inconnues mais pour lesquels il connait en fait les variables, et qu'il peut donc résoudre assez facilement.

Essayer d'éclaircir la première sorte d'inconnue constitue les étapes suivantes, en envisageant différentes explorations, en réfléchissant au préalable à ce qu'on attend de ces explorations et aux dates auxquelles les réaliser. La seconde moitié du processus consiste, après avoir mené ces explorations, à analyser leur résultat pour voir s'il remet en cause ses certitudes, s'il permet de réduire les angles morts, et quels changements il va entrainer.

Le décideur peut alors s'interroger sur les bénéfices et risques relatifs à ces changements, et donc voir s'il est toujours pertinent de continuer son projet. En effet, selon les auteurs, « l'une des grandes compétences des porteurs de projet dans un environnement incertain réside dans le fait de savoir tuer les projets lorsqu'ils se révèlent, après exploration, peu prometteurs ». Si le projet continue, le décideur est invité à reformuler ses objectifs et valeurs, et éventuellement à répéter tout ce processus jusqu'à avoir un projet viable.

 
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