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Les formations commerciales sont-elles adaptées aux nouveaux enjeux ?

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Pas assez opérationnelles les nouvelles recrues ? Trop “tendres” ? Formées à une relation commerciale standardisée, presque “désincarnée” qui n’est plus adaptée aux méthodes de vente plus complexes ? Le jugement que portent les acteurs de la fonction commerciale et les observateurs sur leurs écoles est parfois incisif.

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Philippe Perret, directeur exécutif chez Michael Page, en charge de la division commerciale. « Les commerciaux débutants sont issus d’horizons de plus en plus variés. Au-delà des traditionnels BTS, DUT et écoles de commerce, les formations universitaires ont su se faire une place. » Aujourd’hui, chez Michael Page, environ 20 % des candidats que nous plaçons sont issus des facs de droit, d’économie, d’histoire… Il y a 5 ans, ce type de profil n’avait pas sa place. Ce qui a changé ? Aujourd’hui, il n’est plus considéré comme dévalorisant de débuter sa carrière par la vente. C’est un secteur qui est confronté à une pénurie d’offres. Par ailleurs, certaines entreprises cherchent à augmenter le niveau de culture générale… Les formations traditionnelles sont-elles pour autant menacées ? Non ! Il y a de la place pour tout le monde. Il existe tellement de produits, tellement de façon de vendre, tellement de clients différents… Les formations traditionnelles ont pour elles de former des futurs candidats opérationnels, grâce aux nombreux stages, et parfaitement familiarisés au vocable de la fonction commerciale. Ils disposent d’une ouverture, d’une culture générale plus vaste que celle dont disposaient leurs aînés. Je ne me risquerais pas à donner le tiercé gagnant entre BTS, DUT et écoles de commerce. En fait, chacun de ces profils correspond à un type d’entreprise. Ce que l’on peut dire, c’est que les écoles de commerce valorisent plus que les autres la culture générale, la finance… et moins les techniques de vente, l’organisation commerciale. Ces formations ont évolué et elles le feront encore : ceux qui les dispensent sont en prise avec le marché, les professeurs sont souvent rattachés à une entreprise qu’ils sentent de ce fait assez bien. Ce sont des gens réactifs. Aujourd’hui, les entreprises nous demandent d’évaluer les jeunes candidats sur leur niveau de culture générale, leurs capacités d’expression et d’écoute, sur leur résistance à la pression et leur capacité à s’automotiver. Les entreprises sont, en revanche, moins attirées par des formations très techniques qui se démodent vite. Mais sur ce point précis, les écoles ont déjà évolué… Jacques Inizan, maître de conférence, associé à l’université de Tours et consultant partenaire IFCIL, conseil et formation. « Les “commerciaux fantassins” qui appliquent des méthodes ayant fait leurs preuves doivent céder leur place à des “commerciaux stratèges”, capables de gérer leur portefeuille. La simple reproduction d’un standard garantit certes un niveau d’efficacité, mais un niveau qui reste “moyen”. » Si l’on raisonne par rapport à un niveau moyen de recrutement des futurs commerciaux en B to B, la solution bac + 2 – BTS ou DUT – fonctionne plutôt bien. Les écoles de commerce préparent, elles, davantage à des postes fonctionnels (marketing, gestion, etc.) qu’au métier de la vente. D’ailleurs, la vente est assez mal perçue par les étudiants de ces écoles. Les jeunes diplômés qui postulent aujourd’hui à des postes de commerciaux sont mieux formés que leurs aînés dans le sens où ils situent mieux leur activité au sein de l’entreprise et intègrent, au-delà de leur performance individuelle, la dimension stratégique de l’entreprise. En revanche, les écoles doivent mettre l’accent sur la façon dont le commercial doit appréhender l’aspect économique de son activité et être capable de déterminer la valeur d’un client. Par ailleurs, la formation commerciale a énormément de mal à suivre le rythme des évolutions dans les nouvelles technologies et plus particulièrement dans les outils de CRM. Les écoles ont, en la matière, un temps de retard. C’est un vrai problème. L’autre reproche que je ferais, c’est que les formations raisonnent beaucoup sur une relation commerciale standardisée, presque désincarnée, qui met l’accent sur une méthode rigoureuse à appliquer. La mécanisation débouche sur un comportement “moyennement efficace”, simplifie une relation qui est en fait complexe. Et qui le sera de plus en plus. Le commercial d’aujourd’hui et de demain a en effet de nouveaux défis à relever : grâce à l’informatique et aux nouvelles technologies, le commercial est “dépossédé” de certaines tâches automatisées ou semi-automatisées à travers les call center, le web. Il lui reste le travail plus noble, qui n’est pas “standardisable” et nécessite au contraire d’être créatif pour imaginer à chaque fois les bonnes solutions. La formation initiale doit absolument intégrer cette évolution. Mettre en place des méthodologies d’intervention plutôt que des standards d’intervention. La question qui se pose alors est de savoir si le management sera capable d’accompagner cette tendance. L’apparition du manager coach et de l’individualisation de sa relation va dans le bon sens, mais est-ce que ce sera suffisant ? Ce n’est pas certain ! René-Yves Darmon, professeur de vente et gestion de la force de vente à l’Essec, président de l’Association française du marketing. « L’Essec adopte de plus en plus une démarche “pratique”, à travers des stages, des rapports. Néanmoins, nous n’avons pas pour vocation la formation des commerciaux terrain, mais la sensibilisation des étudiants à la vente. » Les commerciaux sont de plus en plus amenés à s’inscrire dans une démarche de réflexion et de créativité de façon à s’adapter aux besoins spécifiques de chaque situation. L’avenir est aux formes de négociation de bon niveau. L’Essec, et les écoles de commerce en général, ont par conséquent une carte à jouer sur la formation à la fonction commerciale de demain. Les candidats issus d’une école de commerce peuvent donner une valeur ajoutée énorme à la politique commerciale d’une entreprise. Si l’image de la vente n’a jamais été très reluisante, les choses changent progressivement. Dans le cadre de notre formule par alternance par exemple, un certain nombre d’étudiants font leur apprentissage en entreprise à des postes de commercial. Autre preuve de l’intérêt croissant que les écoles de commerce et l’Essec en particulier portent à la fonction commerciale : nous avons créé une chaire de vente et stratégie marketing. Ainsi, les cours portent, par exemple, sur la gestion de la force de vente, la négociation, etc. L’école a également créé Iréné, l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation en Europe. Jean-Louis Denoual, directeur commercial copies et télécopies du réseau vente direct chez Canon. « Pour bien faire, il faudrait que les formations à la vente soient enrichies de stages longue durée, que les techniques de vente et de négociation soient vraiment abordées, que le fonctionnement de l’entreprise soit expliqué, etc. Les formules par alternance comblent ces diverses lacunes de la formation classique. » Les formations initiales au commerce, écoles, BTS ou DUT ne sont pas opérationnelles pour le type de vente que nous pratiquons chez Canon. Chez nous, le commercial est en quelque sorte son propre patron sur le terrain. Il est responsable de son organisation, de sa planification. Il est très livré à lui-même. Or, les étudiants qui sortent du circuit traditionnel savent tous manipuler XPress… En revanche, ils n’ont jamais vu un client, jamais fait de prospection. Ils sont très “tendres”. Bizarrement, ils sont mieux préparés à la gestion et au marketing qu’à la vente. Leurs CV sont ponctués d’études sur l’efficacité d’une action marketing… mais peu ont fait du terrain. C’est ce qui nous manque ! C’est sans doute dû au fait que le corps professoral n’est lui-même pas très terrain. Ce n’est pas tout. Le niveau des acheteurs a beaucoup progressé au cours de ces dernières années. Ils sont désormais très compétents, très professionnels. Pour être à la hauteur, nos commerciaux doivent donc maîtriser une palette de connaissances de plus en plus large. À mon avis, l’idéal, ce sont les formules par alternance qui permettent de découvrir la vente sans stress, sans objectifs. Depuis deux ans, ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à opter pour cette solution. Côté positif, les étudiants d’aujourd’hui disposent en général d’une bonne formation de base en informatique, d’une meilleure ouverture d’esprit que leurs aînés et d’une bonne maîtrise des langues. Didier Contrepois, directeur général d’Autodistribution Jullien dont il est l’ex-directeur commercial. « Une bonne ouverture d’esprit, une capacité d’adaptation rapide, des aptitudes à être autonome dans un cadre prédéfini… Voilà les qualités que j’attends d’un commercial débutant et que devrait transmettre la formation initiale. Au lieu de ça, lorsqu’ils sortent de l’école, les commerciaux sont “paumés”. » Pendant un an et demi, voire deux ans, les jeunes commerciaux rament. Ils ne maîtrisent pas les techniques de vente et manquent de recul sur les événements. Je ne dis pas que c’est de la responsabilité des écoles de former des commerciaux capables de prendre des initiatives ; c’est une qualité qui est beaucoup plus liée à la personnalité ainsi qu’à l’environnement professionnel du candidat. En revanche, à la sortie de l’école, un commercial devrait posséder, en plus de la maîtrise des techniques de vente, de bonnes qualités d’organisation pour établir ses tournées, avoir compris le caractère impératif de l’objectif… Et ce n’est pas toujours le cas. Pour ma part, je recrute des commerciaux de niveau bac + 2 plutôt que des commerciaux issus des écoles de commerce. Ces derniers ont du mal à accepter les contraintes de nos métiers au quotidien. Et puis, ils souhaitent très rapidement prendre des responsabilités ce qui n’est pas toujours possible. Bizarrement, j’ai par contre été amené à recruter des candidats qui avaient des cursus totalement étrangers au métier de commercial. J’ai ainsi intégré dans mon équipe un commercial qui est titulaire d’une maîtrise de sciences en économie et un autre qui possède une licence de lettres. Ce dernier est à ce jour l’un de nos meilleurs commerciaux. Je suis convaincu que ce serait une erreur de vouloir, à tout prix, se limiter au profil traditionnel des commerciaux. Je conseille, pour ma part, d’étudier des candidatures “exotiques”. Roger Sasportas, président directeur général de RS Management, conseil en recrutement et formation des commerciaux. « Ce que les écoles n’ont pas réussi à faire, c’est convaincre leurs étudiants que la filière commerciale peut propulser une carrière professionnelle. Qu’elle ne doit pas seulement être vécue comme un passage. » La formation des commerciaux a connu une grande évolution ces dernières années : les étudiants qui sortent des écoles sont plus ouverts et plus curieux. Par ailleurs, le fossé qui existait entre l’enseignement et la réalité professionnelle subsiste toujours, mais il a diminué. Ce constat est valable pour les BTS, DUT et écoles de commerce. Certaines écoles – il y a 6 ou 7 ans – ne proposaient aucun module autour de la vente. On y formait les étudiants au marketing, à la communication, à l’international… pas au commerce. Le fossé s’est rétréci pour plusieurs raisons. D’abord, les formations intègrent de plus en plus de stages en entreprise, très constructifs. Ensuite, les écoles proposent des modules à la vente de plus en plus précis. Enfin, elles sollicitent de plus en plus d’intervenants professionnels. Les jeux de rôles, les mises en situations se sont également multipliés, ajoutant au caractère pratique et concret des formations. Ce que j’observe également dans mon activité de tous les jours, c’est qu’il n’est désormais pas rare d’intégrer des candidats issus d’autres formations que le commerce et la vente. Est-ce un constat d’échec pour la filière traditionnelle ? Peut-être…

Les leçons à tirer La vente se complexifie, par conséquent les formations à la vente doivent transmettre des méthodologies d’intervention et non pas des standards d’intervention à appliquer purement et simplement. Les professionnels reconnaissent, dans leur ensemble, que les étudiants d’aujourd’hui formés à la vente, disposent d’une ouverture d’esprit et d’une curiosité supérieures à celles de leurs aînés. Les entreprises recherchent des jeunes commerciaux qui soient le plus opérationnels possible, ayant déjà goûté à la réalité des entreprises à travers des stages longs. Les formations par alternance ont une carte à jouer. Les formations dites traditionnelles – BTS, DUT et écoles de commerce – doivent désormais compter avec des formations plus “exotiques”, type maîtrise d’histoire, de psycho, etc. Les étudiants issus des formations à la vente voient encore très souvent le métier de commercial comme un passage. Ils sont rares à être convaincus que l’on peut faire une carrière de manager dans la fonction commerciale.

 
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Propos recueillis par A.-F. Rabaud

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