«Co-construisons des Sales Centers à la française !», Dominique Rouziès (HEC Paris)
Dominique Rouziès, professeure de marketing à HEC Paris, revient sur l'attractivité des carrières commerciales et propose des pistes la pour renforcer auprès des étudiants.
Je m'abonneLes écoles de commerce demeurent une filière d'excellence, qui attire les étudiants, lesquels, paradoxalement, se détournent des métiers commerciaux. D'où vient ce déséquilibre ?
Dominique Rouziès : Votre constat est juste. Attention cependant à nuancer : il est difficile de parler d'HEC de manière uniforme. L'école a plusieurs institutions et donc plusieurs publics. Nous avons des étudiants dans la grande école, d'autres dans des masters spécialisés, d'autres dans des MBA, dans des Executive MBA, en Bachelor...Ils ne sont pas tous issus du système des classes préparatoires et donc, ont des appétences différentes selon les filières choisies. Si l'on parle des étudiants en MBA, leur motivation est souvent la transformation de leur carrière. De ce fait, en sortant, seul un quart s'oriente vers le marketing et les ventes, et une plus forte proportion rejoint les entreprises de technologie. C'est un peu pareil pour ceux qui sortent de la grande école : ils sont attirés par les services financiers, qui représentaient environ 30% des débouchés il y a deux ans, à part égale avec le conseil et le reste va vers la technologie.
Quid de l'entrepreneuriat ?
D.R : On constate un engouement croissant pour l'entrepreneuriat : environ 20% des diplômés du MBA créent leur société tout de suite après être sortis du diplôme et beaucoup le font à un horizon un peu plus lointain. Il y a donc à HEC des aspirations et des parcours différents, mais il est vrai que la carrière commerciale est rarement un objectif quand on entre à HEC.
Je pense que les métiers commerciaux ont, malheureusement, encore une mauvaise image, faite de stéréotypes qui ont la vie dure, comme celle du vendeur malhonnête. C'est d'autant plus dommage que dans les faits, les jeunes se retrouvent à pratiquer une part de vente, au final. S'ils embrassent une carrière dans la finance, il y aura probablement une dimension commerciale dans leur poste, ce qui est vrai aussi en marketing ou en conseil, où ils devront vendre leurs missions. Et que dire de la création d'entreprise, où vous devez formaliser votre concept, le marketer, argumenter pour trouver des fonds et le vendre ? La carrière commerciale est donc omniprésente, mais doublée d'une expertise fonctionnelle. Quant aux entreprises, elles cherchent des cadres spécialisés dans certains domaines tels que la finance, le marketing ou le management, certes, mais qui peuvent vendre.
La dimension commerciale est omniprésente
Comment changer les choses ?
D.R : Pour changer la perception des métiers commerciaux par les étudiants, il serait intéressant d'avoir l'intervention de professionnels qui s'associent à des cours ou à des instituts que l'on pourrait créer dans les grandes écoles françaises. Je lance donc un appel aux entreprises, qui ont besoin de recruter des profils complets et motivés : contactez-nous ! A titre personnel, je suis preneuse de collaborations, car je crois qu'il n'y a rien de mieux qu'un intervenant qui explique en quoi consiste son job, pour motiver les étudiants et leur servir de modèle.
Quels pourraient être les contenus de ces partenariats ?
D.R : Il y a de nombreuses possibilités. On pourrait imaginer des interventions de managers qui viendraient parler concrètement de leur métier, qui nous aideraient à présenter des études de cas, à mettre en place des jeux de rôles sur les postures commerciales, mais aussi à anticiper. Il s'agirait alors de réfléchir à l'orientation des carrières, aux bonnes pratiques, de bénéficier de retours d'expérience sur des sujets d'actualité. En réunissant 10 grandes entreprises autour de la table, on pourrait par exemple leur demander de raconter concrètement comment elles ont mis en place l'intelligence artificielle dans leur service commercial. Ou de détailler les évolutions de carrières commerciales dans leur organisation. Je renouvelle donc mon appel aux dirigeants d'entreprises et aux dirigeants commerciaux, pour que nous co-construisions des initiatives du type de ce qui existe aux Etats-Unis avec les « Sales centers ». Il s'agit d'associations réunissant des entreprises sous l'égide d'une institution telle qu'une université, pour promouvoir les carrières commerciales. Les « Sales centers » créent des contenus de cours, mettent en place des programmes, font intervenir les professionnels, ce qui permet de battre en brèche les préjugés sur ces métiers.
Y a-t-il un regard différent sur la vente, entre les Etats-Unis et la France ?
D.R : Une étude de 2017 sur la confiance des Américains dans certaines professions, menée par Gallup, plaçait les infirmières en tête des professionnels de confiance avec un taux de 82%, tandis que les cadres commerciaux arrivaient en avant-dernier avec 16%, devant les lobbyistes à 8%. La situation n'est donc pas idéale non plus aux Etats-Unis, en termes de perception. Mais grâce à la soixantaine de « Sales centers » qui existent désormais là-bas, le regard évolue, et les Américains sont très conscients que tout le monde est gagnant dans ce type de démarche. L'université forme correctement les étudiants à leur future carrière, tandis que les entreprises trouvent dans ce vivier les talents dont elles ont besoin. La boucle est bouclée.
Quels liens la génération Z entretient-elle avec certaines constantes de la fonction commerciale (objectifs à atteindre, challenge, etc) ?
D.R : Il y a clairement une aspiration à davantage de sens, quel que soit le domaine d'activité. Si vous prenez le marketing, en comparaison avec la fonction commerciale, vous constaterez que dans ce domaine-là également, l'attractivité est retombée. Dire qu'on aime le marketing aujourd'hui, ce n'est plus la même chose qu'il y a 30 ans. Un employeur doit pouvoir intégrer leurs demandes d'impact social positif, d'éthique, d'équilibre vie privée/vie professionnelle, d'utilisation de technologies innovantes, d'autonomie...La fixation et l'atteinte d'objectifs professionnels n'est pas impossible, elle doit juste concorder avec ces aspirations. Pour conforter la filière commerciale et son avenir, il est donc nécessaire de prendre en compte ces nouvelles attentes. Car, pouvez-vous imaginer que les managers commerciaux de demain dénigrent leur métier, qu'ils le pratiquent comme un choix par défaut ? Impossible. Il y a donc urgence à unir nos forces pour que la fonction commerciale renoue avec l'attractivité.
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