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"Pourquoi il faut savoir tuer sa vache à lait"

Publié par Aude David le - mis à jour à
Julien Pillot, directeur des synthèses stratégiques et concurrentielles à Xerfi Precepta
Julien Pillot, directeur des synthèses stratégiques et concurrentielles à Xerfi Precepta

Les erreurs peuvent mener au succès. Et si l'inverse était aussi vrai ? Face au succès, les entreprises seraient pour la plupart incapables d'anticiper les difficultés à venir, ce qui les précipiterait vers l'échec. Explication avec Julien Pillot de Xerfi Precepta.

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Comment le succès d'une entreprise peut-il causer sa perte ?

Aujourd'hui, la pensée stratégique est tournée uniquement vers la croissance. Toutes les écoles forment à prendre des décisions en période de croissance. Mais face aux chocs de décroissance, aux aléas environnementaux et structurels, les managers manquent de méthode. La réaction est alors de tailler dans les coûts pour présenter des résultats artificiellement flatteurs au lieu de se dire que la stratégie n'est peut-être plus la bonne et de la changer.

Après une phase de croissance vient un plateau de stagnation, voire de décroissance, qu'il faut anticiper suffisamment tôt

Or, dans notre monde ultraconcurrentiel, le business model est plus souvent remis en cause par les ruptures de marché et les innovations qu'auparavant. À cela s'ajoute le fait que le succès est une série aléatoire : ce n'est pas parce qu'on gagne neuf fois d'affilée qu'on va gagner la dixième. Quand on pense que la réussite est une série statistique, on risque l'échec, car le business plan sera orienté en fonction de cette prévision de succès. Or, dans n'importe quelle stratégie, après une phase de croissance vient un plateau de stagnation, voire de décroissance, qu'il faut anticiper suffisamment tôt.

De plus, dans les succès, l'ego intervient : on se dit qu'on a réussi parce qu'on est un génie, et on oublie les facteurs environnementaux qui ont contribué à un succès mais ne se répéteront pas nécessairement. C'est le même problème qu'avec le Titanic : quand une organisation veut changer de route au dernier moment, il est trop tard, car elle n'a pas l'agilité et le temps nécessaires.
Même si Kodak a eu une division numérique assez tôt avec une certaine autonomie organisationnelle, l'inertie du groupe l'a empêché de se développer correctement. Deux hypothèses s'affrontent pour expliquer cet échec. La première affirme que le groupe n'a pas voulu changer car le numérique allait détruire son business existant. La seconde explique qu'il n'a pas pu changer car son business model était trop tourné vers la chimie et pas vers les semi-conducteurs nécessaires au numérique. Par conséquent, ses ressources, ses compétences, son modèle organisationnel, sa structure ressources humaines étaient des barrières à la mobilité stratégique !

Cette seconde hypothèse est très séduisante, car le succès entraîne une hyperspécialisation dans ce qui nous a fait réussir, grâce à des ressources que nous sommes les seuls à posséder.
Tant que l'on est leader, on est price maker, on n'a rien à craindre, mais le jour où le marché opère un tournant à 180 degrés, il n'a plus besoin de vos compétences. Malheureusement, vous ne savez rien faire d'autre et vos précieuses ressources sont inutiles, et donc dévalorisées.

Comment peut-on alors anticiper et éviter l'échec qui suit un succès ?

Les entreprises les plus résilientes sont celles qui sont capables non seulement de gérer les aléas, mais aussi de se mettre en ordre de marche pour anticiper la survenue d'un échec et créer la réussite en allant à l'encontre de leurs procédés actuels.

Il faut accepter de tuer sa vache à lait pour éviter un probable échec futur

Cela ne sert à rien de vouloir se concentrer à tout prix sur des actifs stratégiques qui, un jour, ne seront plus utiles. Parfois, il faut accepter de tuer sa vache à lait pour éviter un probable échec futur. Le tour de force de Steve Jobs n'a pas seulement été de proposer une révolution sur la mobilité et la connectivité, mais d'accepter de tuer son produit phare, l'iPod, pour essayer autre chose, l'iPhone. Steve Jobs savait que si l'iPhone fonctionnait, l'iPod était mort. Mais il savait que le jeu en valait la chandelle, car le marché du téléphone serait plus grand que celui de la musique.

Jusqu'en 2001, Apple faisait de l'informatique, aujourd'hui, c'est de l'électronique grand public. IBM aussi est passé d'une société d'informatique à une société de services. Ces entreprises échappent à une mort possible car elles réussissent la transition d'un coeur de métier à un autre en développant de nouveaux savoir-faire.

Quelles solutions s'offrent aux entreprises ?

On ne devient pas une firme innovante du jour au lendemain. Pour adopter cet état d'esprit, il faut permettre à des personnes de s'organiser autour de projets auxquels la gouvernance donne la capacité d'agir et même de proposer des produits et procédés susceptibles de remettre en cause le fondement même du business model actuel de la société.

C'est pour cela qu'il faut créer des " zones grises " , des projets, avec budgets, sur lesquels des équipes puissent travailler sans pression du résultat. Une entreprise qui met X % de son budget dans ces zones grises, avec du personnel et du matériel sur des choses où l'on ne sait pas si elles vont aboutir, parce qu'elles sont conscientes qu'un jour cela servira et qu'elles pourront se disrupter elles-mêmes, a une posture humble et intelligente. Elle se demande sans arrêt ce qui pourrait échouer, et c'est cette organisation de remise en cause permanente qui lui confère le meilleur potentiel de rebond et d'innovation.

Julien Pillot en trois dates:

2011 Obtient un doctorat en sciences économiques ( thèse sur la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et ses impacts ­économiques et stratégiques).

2012 Devient professeur associé en économie et stratégie à l'université Paris - Saclay et chercheur associé au CNRS après avoir enseigné à l'université de Versailles Saint-Quentin et à celle de Nice - Sophia Antipolis.

2014 Intègre le groupe Xerfi, d'abord comme directeur d'étude en charge du pôle média, puis en tant que manager scientifique de Precepta, bureau d'études dédié à l'analyse structurelle et stratégique.

A lire page suivante: le rôle des managers dans la gestion du succès et de l'échec

 
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