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« Nous allons redécouvrir le représentant de commerce »

Publié par Amélie Moynot le | Mis à jour le
Michel Godet, Économiste, professeur au conservatoire des Arts et Métiers, consultant en prospective et stratégie auprès des entreprises.
© Thierry Boulley
Michel Godet, Économiste, professeur au conservatoire des Arts et Métiers, consultant en prospective et stratégie auprès des entreprises.

Économiste, professeur au conservatoire des Arts et Métiers, consultant en prospective et stratégie auprès des entreprises, Michel Godet explore l'univers de la vente et ouvre des perspectives pour demain. Interview.

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Quelle image les gens ont-ils de la vente ? Comment l’expliquer ?
La vente souffre en France d’une mauvaise image. C’est un mal très français, qui s’explique d’abord par des raisons historiques, remontant à l’époque de la noblesse. La vente est alors perçue de façon négative. En revanche, les producteurs sont regardés beaucoup plus favorablement que les vendeurs. Au caractère vil de la vente s’oppose alors la noblesse de la production. Mais s’il est mal vu, c’est aussi que le vendeur est envié. Il vaut mieux faire du commerce que de la production pour bien gagner sa vie. Dans les entreprises, les commerciaux sont mieux payés que les ingénieurs. Ce n’est pas un jugement mais la reconnaissance d’un état de fait. Le mot “vente” en lui-même peut d'ailleurs avoir un usage péjoratif, lorsque l'on dit de quelqu'un que c'est un vendu. De quoi remettre en cause l'intégrité morale de cette personne…

À titre personnel, j’ai plutôt une image positive de la vente, qui est pour moi une forme de séduction, comme une séduction amoureuse. Pour moi, c’est avant tout un métier de lien. À la fois pendant la vente, mais aussi avant et après, il s’agit pour le commercial de créer du lien avec l’acheteur. Lorsqu'il achète un bien, le client achète aussi tout le lien qui va autour. Certains vendeurs sont mêmes frustrés quand la vente n’a pas duré assez longtemps, ils estiment qu’ils n’ont pas mérité leurs bons résultats…

Le monde a changé en 30 ans. Comment cela impacte-t-il les métiers de la vente ?
Pour le commercial, les conditions de réalisation de son métier se sont compliquées : marché saturé, croissance molle, augmentation de la concurrence. L’essor des nouvelles technologies complique également son action. En effet, grâce à elles, il est désormais plus facile pour un client de comparer les prix d’un territoire à un autre. Le commercial est donc davantage soumis à la concurrence et son stress s'en trouve renforcé. Du côté des clients, les exigences ont également changé. La parole donnée a moins d’importance que les écrits. La logique du “tope-la”, le sens de l’honneur, etc., ces codes se sont perdus au profit d’un mode de relations beaucoup plus contractuel. Les commerciaux sont soumis à une pression supplémentaire. Les clients ont les moyens d’adapter leur action (autrement dit, de les quitter pour une autre entreprise) s’ils se comportent mal.

Au quotidien, les conditions de vie du commercial se sont elles aussi dégradées. Depuis les 35 heures, celui-ci a une fenêtre de tir beaucoup plus restreinte pour toucher ses clients et réaliser, pourtant, le même chiffre qu’auparavant. Son salaire est lié à ses performances. Ainsi, la réduction du temps de travail des uns augmente le stress du commercial, qui doit concentrer ses actions sur un nombre réduit de jours. Cela augmente ses angoisses de fin de mois. Cela touche aussi bien les commerciaux sédentaires que ceux qui partent sur le terrain. Ceux-ci sont proches de leur marché, mais moins proches de leur équipe. Ils doivent faire face à la solitude.

Pression supplémentaire, l’arrivée de jeunes sur le marché du travail. Ceux-ci ont reçu des formations différentes. Ils sont aussi beaucoup plus doués pour les nouvelles technologies et s’y connaissent mieux en réseaux sociaux, qui jouent aujourd'hui un rôle central dans le commerce. Beaucoup de commerciaux sont obsolètes technologiquement.

Ceci étant dit, faire l’expérience de la vente demeure inégalable pour progresser dans l’entreprise. C’est en effet un élément valorisant à faire figurer sur un CV. D'autant que les anciens vendeurs peuvent avoir certaines facilités, et que passer du terrain à l’entreprise en interne est un jeu d'enfants pour eux.

Quelles sont les tendances de la vente pour demain ?
Dans les circonstances que j'ai décrites, nous allons redécouvrir le représentant de commerce. Il s’agit pour les commerciaux de restaurer de la proximité et de la confiance dans la relation. La vente sur Internet ne va évidemment pas s’arrêter, mais cela ira de pair avec la possibilité de consulter des échantillons dans des lieux adaptés. Une fois que le client a rencontré l’objet, il a forcément un rapport différent avec lui. Autre tendance qui va se poursuivre : les entreprises ne se contentent plus de vendre des biens, mais commercialisent des biens et des services associés. Cela les oblige à changer de paradigme. Pour arriver à vendre le service au client, qui considère parfois qu'il doit être gratuit, il faut faire bien attention à garder du lien dans la relation commerciale.

Par ailleurs, le métier est en train de se féminiser. Les femmes ont naturellement cette capacité à créer du lien qui sera de plus en plus nécessaire. Elles ne seront pas cantonnées au marketing, qui a sa place dans les écoles de commerce. En vente, tant qu’on n’a pas tout essayé pour convaincre un client d’acheter, on n’a rien essayé. C’est un jeu que les femmes savent elles aussi très bien mener. La question est de savoir si la vente est compatible avec la vie familiale.

Quel conseil donneriez-vous à un commercial ?
De méditer sur cette phrase : “Quand tout le monde accepte votre prix, c’est que vous n’êtes pas assez chers !” Le bon prix, c’est celui qui suscite un taux de refus minimal. Le prix du marché et le prix que les clients sont prêts à accepter ne sont pas tout à fait les mêmes. Cela permet de rentrer dans un cercle vertueux d’augmentation de ses prix. Par ailleurs, le client a besoin de gratuité. Toutefois le don n’est jamais gratuit. Il fait rentrer dans une logique de don/contre-don. Enfin, on n’écoute jamais assez son client. Il faut être capable d’écouter ses demandes, de répondre à ses questions, d’intégrer dans son argumentaire ces éléments d’information. C’est le meilleur moyen pour le séduire.

Le blog de Michel Godet : Laprospective.fr

Dernier livre paru : “Bonnes nouvelles des conspirateurs du futur”, Éditions Odile Jacob, mars 2011, 332 pages, 20 €.

 
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