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DossierPourquoi les commerciaux français ne savent pas vendre ?

Publié par Véronique Meot le

2 - Les écoles de commerce sur la sellette

Formation Accusées de s être détournées des fondamentaux de la vente, certaines écoles de commerce révisent leurs programmes pour s'adapter aux réalités du marché.

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Les écoles de commerce sont sous le feu des critiques. Si les entreprises sont obligées de former leur force de vente aux techniques de base, c'est que les cursus scolaires ne s'en chargent pas. "En France, les écoles de commerce sont des écoles de gestion", résume Nicolas Dugay, DGA de Booster Academy. Pour cet expert, "depuis que le pouvoir a changé de camp - les acheteurs se l'étant approprié notamment grâce à Internet - les entreprises réécrivent leurs standards d'excellence client".

Mais le phénomène est récent et les écoles n'ont pas suivi. "Elles sont obnubilées par le marché des étudiants, pas par celui de l'emploi", grogne Pascal Py, dirigeant de Forventor, cabinet spécialisé dans le conseil et la formation commerciale. Elles soignent leur propre image en mettant en avant des disciplines à la mode. Et semblent oublier leur vocation première : former à l'acte de vente. "Je confirme que les écoles de commerce forment à l'audit, aux finances, à la gestion et au marketing. Un peu comme si la vente n'était pas un métier assez valorisant", lâche Gaëlle Menin-Urien, manager de l'offre formation vente et négociation pour le groupe Cegos.

Manque de méthodologie

Conséquences, les commerciaux français souffrent d'un manque de méthodologie. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'Afnor propose une certification "interlocuteur commercial de confiance". Depuis qu'il a invité ses commerciaux à la présenter (17 sur 20 l'ont obtenu), Laurent Besson, directeur commercial de Clair Azur, fabricant de spas, se félicite : "les dossiers sont mieux tenus, la relation client améliorée et la satisfaction en augmentation". Il a aussi pu créer et faire adopter par ses commerciaux un protocole de vente qui part du besoin client, au lieu d'aborder le sujet par de la démonstration produit.

La vente nécessite d'apprendre à collecter et analyser une information contextuelle, à prospecter au téléphone, à se rendre dans des salons professionnels, à rédiger des e-mails bien écrits, à savoir quand les envoyer, à comprendre comment une entreprise est organisée afin de cibler le bon interlocuteur, à creuser ses besoins, etc. Instiller de la méthode permet de lever les craintes et aide le commercial à oser pousser son offre. "Appliquer une stratégie de prospection commerciale est un exercice difficile, admet Gaëlle Menin-Urien. Il l'est moins lorsque les cibles ont bien été sélectionnées en amont".

"Les commerciaux mangent du Linkt"

Guillaume Prince Labille, directeur de business unit chez Linkt

Linkt a une politique de recrutement très dynamique. L'entreprise a misé sur la formation et a créé une université pour les nouveaux entrants, 70 en 2018. Les recrues suivent pendant quinze jours un parcours de formation calé au millimètre : ADN de l'entreprise, ambition sur le marché, outils informatiques et révision des fondamentaux. "Les commerciaux mangent du Linkt", résume Guillaume Prince Labille. Puis partent pour deux jours vivre la vie d'un technicien de proximité. Les managers suivent aussi des formations tous les six mois. Une "bible" de 30 pages leur rappelle leur rôle au quotidien afin qu'ils peaufinent la formation de leurs équipes.

Linkt emploie trois profils de commerciaux : des experts ayant une véritable expérience B to B et un réseau, des confirmés qui connaissent la relation B to B, et des jeunes, ouverts, qui ont envie d'apprendre. L'entreprise les forme... mais en perd en route. "Je vois partir des candidats parce que le nombre de jours de RTT est plus élevé ailleurs", se lamente Guillaume Prince Labille, qui ne ménage pas ses efforts : "je leur explique précisément nos attentes, je leur fournis l'information par secteur, des outils comme une bibliothèque des prix pour leur faciliter la tâche sur les marchés publics, un guide des références gagnées, une veille concurrentielle..."

Rien n'y fait, le taux de turn-over peut dépasser 17 à 18 % ! "Le travail dans une entreprise en hypercroissance est très dur. Il faut être résilient et déployer beaucoup d'énergie", commente Guillaume Prince Labille. Une mission difficile. Sur les 15 commerciaux entrés depuis septembre 2018, six ont déjà quitté Linkt.

Adapter les programmes

"Il faut prendre en compte la transformation profonde des métiers commerciaux", affirme Jean Muller, Président National des DCF et Maître de conférences à ESCP Europe : "Voilà pourquoi nous venons de repenser entièrement le programme certifiant Direction Commerciale au sein d'ESCP Europe Executive Education". Si les techniques de vente semblaient être, jusqu'ici, l'apanage de la formation continue, dont le but consiste à répondre aux besoins des entreprises, la situation évolue : "Aujourd'hui, la formation classique travaille dessus", affirme Christophe Carpinelli, directeur général adjoint d'Audencia Executive.

Par exemple, la négociation revient dans les programmes. "Nous avons conscience des besoins. C'est pourquoi nous avons réintroduit des cours de négociation B to B dans le master de marketing et d'ingénierie d'affaires, notre formation en alternance", avance Benjamin Morisse, directeur général adjoint de l'ESSCA School of Management. "Un enseignant-chercheur a développé un négo game pour démystifier l'image du vendeur", se félicite-t-il.

Reste qu'il faut traiter le mal à la racine. Les compétences relationnelles changent la donne. "L'Éducation nationale va enfin accorder à l'exercice de prise de parole en public la place qui lui est dû, c'est la mère des compétences", souligne Nicolas Dugay. La réforme du baccalauréat est plutôt bien perçue, mais il faudrait aller plus loin : "comme reconnaître l'intelligence émotionnelle", souffle Jean Muller qui ne constate pas d'écart dans les programmes entre les différents pays européens.

Pour autant, face aux pays étrangers, la formation des commerciaux pêche par deux aspects : d'une part, la capacité à apprendre les soft skills et, d'autre part, la pratique des langues étrangères. "Les Belges parlent trois ou quatre langues. Il faut dire qu'à l'école, ils osent se lancer et ont droit à l'erreur. Chez nous, la culture de la perfection crée de l'empêchement", estime Nicolas Dugay.

Par ailleurs, ajoute-t-il, "nous renforçons nos points forts quand il faudrait améliorer nos points faibles !" Les étudiants des écoles de commerce sont formés au droit de la concurrence et au droit des contrats, alors que toutes les entreprises disposent d'un service juridique et que les avocats sont là pour ça... "Bref on perd du temps en ne plaçant pas le curseur au bon endroit", conclut Nicolas Dugay.

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Véronique Meot

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