Comment s'affrontent vendeurs et acheteurs
Trop empathiques, les commerciaux? Trop coriaces, les acheteurs? Spécialisé dans le conseil et la formation à la négociation, le groupe Arcante a mené une étude comparative sur leurs comportements respectifs... Compte rendu et analyse.
Je m'abonneQuelle attitude les commerciaux adoptent-ils en négociation commerciale? Et quelles sont les similitudes et les différences entre leurs comportements et ceux des acheteurs, en face d'eux? Voilà deux des questions auxquelles tente de répondre le cabinet de conseil Homme et négociation (groupe Arcante), spécialisé dans l'évolution des comportements des négociateurs en entreprise, à travers son étude «Stratégies et techniques relationnelles en situation de négociation»
Un rapport de force plutôt équilibré...
Premier enseignement de cette enquête: 39 % des commerciaux et 40 % des acheteurs se considèrent mutuellement comme des partenaires à convaincre. Ainsi, pour parvenir à un accord, 57 % des vendeurs et 59 % des acheteurs sont prêts à avancer vers leur interlocuteur à tout moment pour tenter de le convaincre de faire un pas vers eux. De part et d'autre, ils se révèlent ainsi plutôt conciliants. « Les acheteurs ne sont pas aussi belliqueux que leur réputation le laisse entendre, explique Laurent Plantevin, président du groupe Arcante. Par ailleurs, le rapport de force n'est pas aussi déséquilibré que l'on pourrait le croire. Contrairement à une idée reçue, l'acheteur a autant besoin de son fournisseur que l'inverse... »
... malgré des cultures différentes
Toutefois, s'ils s'emploient tous deux à convaincre l'autre, l'étude montre aussi qu'ils ne le font pas dans le même but. Ainsi, lorsqu'une proposition nouvelle est avancée par l'un des deux négociateurs, les commerciaux ont plutôt tendance à reprendre les idées inédites des acheteurs et à adapter leurs positions pour trouver un compromis. Les acheteurs, eux, ont plutôt tendance à écouter... pour pouvoir ensuite mieux convaincre les commerciaux de s'aligner sur leurs positions! Une question de culture, analyse Laurent Plantevin. « Les commerciaux sont davantage portés sur la coopération et les acheteurs, sur la confrontation, rappelle-t-il. Ce qui se traduit, à la table des négociations, par une plus grande plasticité des premiers et une rigidité plus affirmée des seconds, et non une agressivité, puisqu'ils sont bel et bien ouverts au dialogue... »
Ainsi, pour parvenir à leurs fins, les commerciaux se montreraient moins enclins à l'affrontement. En effet, seuls 34 % d'entre eux, contre 46 % des acheteurs, considèrent l'autre comme un partenaire qu'il ne faut pas craindre d'affronter. D'ailleurs, 81 % des commerciaux conseilleraient à un jeune collègue, pour défendre ses intérêts, de se montrer amical et ouvert vis-à-vis de l'acheteur ou de veiller à ne pas le froisser ou le choquer, contre seulement 50 % des acheteurs. Ces derniers, à 37 %, conseilleraient même plutôt de se montrer insensibles aux intérêts des commerciaux. Et certains seraient même prêts à aller plus loin... Selon l'étude, 33 % des acheteurs (contre seulement 22 % des commerciaux) n'hésiteraient pas à adopter une position menaçante pour entamer la négociation en position favorable. 15 % d'entre eux estiment même qu'aller à l'épreuve de force permet d'obtenir de l'autre qu'il se range à ses intérêts. Une épreuve de force que les commerciaux redoutent absolument! Ils ne sont, en effet, que 3 % à partager cet avis... « Or, la négociation a besoin de tension, souligne Laurent Plantevin. Le problème est que les commerciaux vont tout faire pour ne pas la créer. Ce n'est pas la bonne façon d'entamer une négociation... » Pour preuve, 46 % des commerciaux s'emploient à ne pas se focaliser sur un point précis et à trouver une solution d'ensemble acceptable, ou à alterner les sujets pour éviter une tension trop forte. En revanche, 47 % des acheteurs ne changent pas de thème tant qu'ils n'ont pas eu satisfaction ou rompu la négociation.
Laurent Plantevin, président du groupe Arcante
3 questions à... Laurent Plantevin, président du groupe Arcante
« On confond trop souvent «vendre» et «négocier» »
Vous venez de réaliser une étude sur les attitudes et les techniques relationnelles des commerciaux et des acheteurs au cours d'une négociation commerciale. Quelles leçons peut-on en tirer?
Un bon négociateur n'est pas forcément le meilleur vendeur d'une équipe. En effet, on confond trop souvent «vendre» et «négocier». Le bon vendeur cherche à convaincre. Le bon négociateur, lui, cherche à créer une tension propice à la négociation. Il faut comprendre par «tension» non pas un malaise, mais une zone de désaccord où chacun aura ses propres intérêts à défendre. Ainsi, un commercial, dont l'objectif prioritaire est de convaincre à tout prix son client, arrive affaibli à la table des négociations. En effet, ce n'est pas parce qu'il atteindra ce but qu'il sortira vainqueur. Car, en pratique, l'acheteur pourra très bien comprendre la nécessité pour le commercial d'augmenter son prix (par exemple, dans un contexte de hausse du prix des matières premières) sans pour autant être prêt à lui acheter son produit plus cher. Cette distorsion, bien réelle, les commerciaux ont pourtant du mal à la prendre en compte.
Alors comment bien aborder une négociation avec un acheteur?
Les commerciaux doivent arrêter de confondre la table des négociations avec une salle où l'on peut résoudre les problèmes en commun. Pour ainsi dire, ils ont une vision un peu tendre, pacifique, voire angélique, de la table des négociations... Ce qui les empêche de défendre suffisamment leurs intérêts. Ainsi, rien ne sert d'essayer de convaincre un acheteur d'accepter des tarifs plus chers. Le commercial doit arriver en expliquant qu'il ne renoncera pas à ses prix, mais qu'il est prêt à trouver un terrain d'entente. Si le rôle du vendeur est de parvenir à «faire dire oui» à l'autre (le convaincre, le séduire, le persuader pour éviter le désaccord), le rôle du négociateur consiste à dire «non... mais je peux en discuter» (savoir créer le désaccord pour bâtir un accord). C'est seulement à partir de là que peut s'enclencher la vraie discussion.
Pour y parvenir, quel autre conseil donneriez-vous aux commerciaux?
Abandonner la sacro-sainte notion de «gagnant-gagnant». Les commerciaux ont tendance à vouloir trouver une solution mutuelle, à favoriser la coopération... L'acheteur, lui, ne cherche pas à coopérer mais à défendre les intérêts de son entreprise. Il existe à ce titre un vrai fossé culturel entre les deux professions, et même un écart de compétences liées à la négociation. On peut l'attribuer à la professionnalisation des achats qui s'observe depuis quelques années. Par ailleurs, le meilleur conseil aux directeurs commerciaux serait d'intégrer à leurs équipes des négociateurs purs. La relation doit se professionnaliser.
Quels sujets aborder?
56 % des commerciaux pensent que tous les points doivent être abordés, mais qu'il faut être prêt à en abandonner certains dans les discussions pour éviter un conflit. « A quoi bon aborder tous les sujets tout en sachant que l'on cédera déjà sur certains? interroge Laurent Plantevin. C'est une erreur stratégique! Le commercial doit aborder seulement ceux sur lesquels il n'a pas l'intention de céder ou sur lesquels un accord pourra être trouvé de façon réaliste. Car, s'il cède à tous les coups, l'acheteur finira par en prendre l'habitude et ne verra plus l'utilité de faire un pas vers le commercial, puisqu'il sera certain, quoi qu'il arrive, de se voir soumettre une meilleure proposition. » Une erreur, pourtant, que les vendeurs ont tendance à répéter à la fin de la négociation. En effet, lorsqu'un accord final se révèle impossible, les commerciaux sont 57 % à proposer une alternative aux acheteurs, qui sont, quant à eux, 45 % à arrêter la discussion et attendre que les vendeurs reviennent vers eux avec une offre satisfaisante.
De quoi conforter les acheteurs dans leur comportement, puisqu'ils savent que le rapport de force tournera en leur faveur. « Si l'acheteur sait qu'il se verra proposer une alternative quoi qu'il arrive, il aura tendance à retarder la signature », avertit Laurent Plantevin. Pas étonnant ensuite, selon l'expert, que les commerciaux se plaignent que les négociations soient de plus en plus ardues: « Ce sont les commerciaux qui génèrent l'attentisme des acheteurs à force d'adopter des comportements inadéquats ou d'aborder des sujets qu'ils ne devraient pas évoquer. » Il est désormais temps pour vos commerciaux de changer la donne...
@ STYLEUNEED-FOTOLIA
Quand l'illusionnisme s'invite dans la négo...
Et si un bon négociateur était aussi un illusionniste? C'est le point de vue que défend Matthieu Sinclair, illusionniste et formateur à HEC: « L'illusionniste n'est pas celui qui joue sur la manipulation, mais qui décode, à travers l'analyse de la communication non verbale - posture, intonations... -, les intérêts cachés de la partie adverse, pour mieux faire fonctionner la relation. » Une méthode qui s'appuie sur les mécanismes de la psychologie appliquée. « Car, pour faire fonctionner une négociation, il faut donner envie à l'autre de coopérer. Tout repose sur l'humain, sur la qualité de la relation établie », complète l'expert. Jacques H. Paget, spécialiste de l'illusionnisme et auteur du livre Le pouvoir de l'illusion, paru chez Plon, renchérit: « Pour remporter une négociation, il est primordial d'user de certaines astuces comportementales, comme la maîtrise du silence, le maintien d'une posture et d'une tête bien droites pour limiter les soupçons et l'esprit critique chez l'autre, celui-ci devenant alors plus docile. Cela évite de le manipuler puisqu'il se manipule, in fine, lui-même. » CQFD!