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La vente vient de Mars, le marketing de Vénus

Publié par le | Mis à jour le
La vente vient de Mars, le marketing de Vénus

Beaucoup d'incompréhension s'installe entre la vente et le marketing... avec comme problème principal la difficulté à partager leur savoir-faire. À croire que ces services sont issus de deux planètes différentes...

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Une directrice marketing d'une grande entreprise me dit un jour : "De toute façon, cette segmentation qu'utilise la force de vente est dépassée. Nous travaillons avec une autre, depuis un an et demi, au marketing". Quoi de mieux pour résumer le fossé que vous constatez sûrement entre le marketing et la vente dans votre entreprise ? Comme le soulignent des chercheurs autant que des consultants spécialisés, on observe entre ces deux professions deux conceptions parfois contradictoires du même but(1). Les objectifs, les calendriers, les préoccupations peuvent vite diverger. Essayons de décrypter leur position respective.

Les vendeurs, soldats du Dieu de la guerre ?

Les commerciaux se focalisent presque constamment sur leurs objectifs de vente : qu'ils soient quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, ils sont une ­préoccupation permanente. Et, bien sûr, la pression exercée par la hiérarchie pour obtenir des résultats dans cette période économique particulièrement difficile ne l'allège pas. La force de vente ("force", ce n'est pas un nom anodin) est engagée dans la survie de l'entreprise sur le "champ de bataille" économique, sur le "front" (on parle bien de front-office), face au client. Ce vocabulaire guerrier, parfois sportif, montre bien la manière de penser la ­relation au marché : un corps-à-corps individuel avec les prospects et les clients, dont on veut obtenir la commande, comme une reddition à notre efficacité, à notre pouvoir.

Leur calendrier court-long terme passe généralement du jour à la semaine, puis au mois : on compte chaque victoire, chaque commande, on inscrit ses rendez-vous dans l'action immédiatement visible. Cette action est d'ailleurs fortement solitaire, nous le savons tous, loin de nos bases et de leur confort. Les commerciaux ont besoin de cette action d'ailleurs, avec un lien visible avec la commande à prendre. Finalement, ils cherchent à concrétiser les efforts du marketing : un bon produit, bien placé, pour le bon client, c'est bien leur credo. Leurs qualités pour cela, nous les connaissons : énergie, motivation, capacité de rebond, envie de vaincre, résistance, concentration, relationnel, etc.

Les marketeurs, prêtres de la Déesse de l'amour ?

Les professionnels du marketing, quant à eux, sont souvent vus comme des experts d'une pensée plus "soft", plus subtile, celle de la compréhension du besoin des segments, et de la conception élaborée d'une offre complexe. On les imagine immergés dans des concepts aux noms "clochettes" : marketing, branding, packaging, etc. Ils ne sont pas toujours reliés à des ventes quantifiables, mais ils sont tellement beaux !

Leur agenda va plutôt de la semaine, évidemment surbookée, au trimestre, pour gérer réunions, projets collectifs et campagnes de lancement. Mais en fait, ils cherchent à travailler pour faciliter la tâche de la force de vente. Leurs qualités sont autres : innovation, écoute, patience, cohérence, vue globale, analyse, etc...

Revoir nos idées reçues : les deux parts d'un même cerveau

Dans la réalité actuelle, ces images ne sont-elles pas dépassées ? On peut voir plusieurs raisons à cela : nos étudiants sont de plus en plus formés et recrutés sur leur double compétence vente-marketing. Ils exerceront des métiers interface, en grands groupes comme en PME, à che­val sur les deux fonctions. La relation client, devenue plus globale, amont-aval, impliquant chacun sur plusieurs missions, au sein d'un groupe projet.

Malgré ces évolutions, chacun se sent sous-estimé, parfois avec raison. Ne sont-ils pas trop focalisés sur leurs indicateurs personnels, sans échanger avec leur alter-ego ? C'est un tort, car finalement ils agissent dans le même sens, mais pas de la même manière. Ils sont comme les deux parties de notre cerveau.

Et l'on ne peut pas rester sur une opposition aussi simpliste. Au sein même de la fonction commerciale cohabitent différents styles, différents types de vendeurs et plusieurs formes de vente. Et parmi les marketeurs, divers postes animen­t des missions variées, parfois plus confrontées au client, parfois plus stratégiques.

C'est à tous les acteurs du marketing et de la vente, ainsi qu'à leurs collègues et dirigeants qu'il faut, en définitive, demander de réviser leur approche. Parlons donc de couple marché-produit et non pas de l'inverse. Travaillons en même temps nos segments de clients et les individus qui les compo­sent, comme le suggère la mode des personas (en marketing, une "persona" est une personne fictive qui représente un groupe cible). Révisons nos offres en fonction des remontées du terrain, mais vérifions aussi les vrais besoins, les tendances de fond. Pensons à chaque rendez-vous, mais dans une construction durable de la relation commerciale. Diffusons un même message au client : "On a cherché à vous comprendre, on vous a inventé une solution, on vous la présente en personne et on s'occupera de vous aussi longtemps que vous apprécierez notre service". Le client ne doit voir qu'une tête, une même attitude. Ceci n'est pas une question de logiciels de CRM, mais d'écoute mutuelle et de collaboration. Il faut utiliser une "tension créative", entre deux compétences indispensables et complémentaires.

Transformer les fonctions

Heureusement, bon nom­bre de professionnels de l'action commerciale ont occupé les deux postes ou sont aujourd'hui en charge des deux fonctions. Beaucoup de vendeurs adoptent une vision marketing de leur portefeuille clients. De plus en plus de marketeurs vont au contact du marché et gèrent des comptes clients pour développer leur activité. Même plus : les premiers clients du marketing, ce sont les vendeurs ! Ce sont eux, en effet, qui achètent l'efficacité des campagnes marketing, de la conception du produit ou du bon positionnement de celui-ci sur le marché.

C'est pourquoi nous de­vons parler de la chaîne de valeur commerciale. Comment la concrétiser ? En transformant rapidement le travail du marketing en ventes. En procurant aux commerciaux les options nécessaires pour adapter l'offre à chaque client qu'ils rencontrent. Ou encore en faisant en sorte que les informations clients remontent effectivement et soient transformées en plan marketing pertinent. Bref, marketing et vente, c'est bien devenu l'affaire de tous dorénavant, dirigeants en tête.

(1) Voir, par exemple, P. Guenzi et G. Troilo, Journal of Business Research, 2007 ; J. Miller, blog.marketo.com, 2008 ; E. Co­leman, colemanmgt.com, 2013.

L'expert




Pascal Brassier est maître de conférences en marketing, vente et négociation
à l'École universitaire de management de l'université d'Auvergne,
et responsable de la mention marketing.
Coresponsable de l'équipe recherche en marketing du laboratoire CRCGM,
il est l'auteur du blog www.negoexperts.fr.












 
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