Christine Lai (EM Lyon) : «Respecter l'autonomie des managers commerciaux est fondamental»
Christine Lai, professeure associée à l'EM Lyon Business School, esquisse les enjeux et impératifs du «manager commercial de demain». Entretien.
Je m'abonneQuels sont les enjeux actuels des directions commerciales ?
Tout d'abord, on note une série de changements environnementaux qui impactent la fonction commerciale. Il y a d'abord l'accélération technologique, pas seulement due à l'intelligence artificielle, mais aussi à la digitalisation et aux nouveaux outils « métier ».
Par ailleurs, les exigences des clients sont de plus en plus diversifiées et sophistiquées. Par conséquent, la négociation entre l'acheteur et le vendeur devient de plus en plus difficile. Alors qu'avant, on s'entendait sur la qualité et le prix essentiellement, aujourd'hui, une multitude de nouveaux critères entre en jeu. Il s'agit d'exigences en matière de RSE, de durabilité de l'offre, etc. Ces critères sont minutieusement vérifiés. Or, ils ne dépendent pas des commerciaux, ce qui limite leur marge de manoeuvre et peut générer du stress.
Autre évolution dans l'environnement de travail du directeur commercial : la gestion de la génération Z. Actuellement, dans une entreprise, on peut avoir jusqu'à quatre générations différentes à gérer, entre les alternants et ceux qui sont au bord de la retraite. Leurs comportements et attentes diffèrent, ce qui conduit là encore au stress chez les directeurs commerciaux et les middle managers.
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Quels sont les traits caractéristiques des jeunes commerciaux ?
La génération Z a grandi dans un monde très connecté, fait d'immédiateté, où les réseaux sociaux font réagir sans attendre, où l'on sollicite des « like » et où l'on recherche en permanence le soutien et l'approbation. D'où le besoin des juniors d'une présence managériale qui apporte réponses immédiates et reconnaissance face aux efforts déployés.
À ce titre, nous menons actuellement une étude sur le feedback donné aux jeunes commerciaux, afin de savoir ce qui les motive le plus. L'étude porte sur plus de 200 participants, à qui sont confiées des tâches à réaliser sur ordinateur. Le feedback peut s'effectuer de deux manières : en donnant les résultats (la performance réalisée par le commercial) et en donnant les explications (le débriefing). Dans cette recherche que nous menons, nous avons bâti deux scénarios : le premier consiste à donner un feedback et des explications simultanées dans un bref délai, et le second à donner d'abord le feedback, puis les explications dans un second temps. Nous avons constaté que la seconde combinaison est la plus motivante, car l'on répond au besoin d'immédiateté en fournissant les résultats dès leur obtention, mais on laisse au participant le temps de réfléchir à son action et à ce qui a mené aux résultats obtenus. Nous sommes en train de finaliser cette étude.
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Quels autres défis le manager commercial doit-il relever ?
Il y a deux enjeux récurrents, et le premier est la santé au travail. À l'image du stress qui augmente dans la société face à l'immédiateté attendue dans de nombreux domaines, le stress est omniprésent chez les commerciaux et il va croissant. Les commerciaux sont en première ligne face aux clients et porteurs des attentes de l'entreprise. Le middle manager doit donc composer avec cet état de fait, où les arrêts maladie se multiplient. L'autre enjeu récurrent est la gestion de la performance : la rémunération, la motivation ne sont pas des sujets nouveaux, mais ils posent la question du développement de l'entreprise et comment on peut le soutenir.
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Justement, quels sont les leviers à actionner ?
On attend beaucoup des managers commerciaux, ils doivent être prêts, mais il faut également faire attention, sur le plan psychologique, à ce qu'il n'y ait pas d'impact, ainsi qu'à maintenir à jour leurs compétences. Pour répondre à ces enjeux, il faut prendre en compte tout l'écosystème de travail du manager commercial et ne pas se focaliser uniquement sur son leadership et son habileté. Considérer son secteur, ses produits et son business pour lui procurer les formations adéquates, et ne pas se contenter de formations au leadership. La question n'est pas tant de réussir à manager un client ou une équipe qu'un business dans sa globalité. Car la direction commerciale se situe entre la direction générale de l'entreprise et l'équipe terrain en première ligne. Une position qui peut se révéler inconfortable.
La direction générale doit donc donner les pleins pouvoirs décisionnels au directeur commercial, lequel doit apprendre à déléguer. Tout est affaire d'équilibre entre contrôle et délégation. Même avec une gestion réfléchie, quand on ne sait pas déléguer ou faire confiance génère du stress et in fine une baisse de performance.
Qu'en est-il des outils ?
Les applications métier se sont multipliées. Elles sont utiles pour aider à la prise de décision et pour gagner du temps. Mais il ne faut pas perdre de vue les fondamentaux : la nécessaire autonomie des managers commerciaux et de leurs équipes, l'équilibre avec le contrôle, la formation et la communication sur leur utilité et leur utilisation. Trop d'outils peut tuer l'outil, car chacun requiert des efforts en matière de synchronisation, de prise en main, qui nécessite une formation. E
ncore une fois, il faut revenir à la base du métier et à la réflexion sans se précipiter pour répondre aux changements. Quand on rencontre un client, les qualités relationnelles, d'adaptation à l'interlocuteur et aux situations, d'intelligence commerciale sont fondamentales. Elles ne peuvent pas être remplacées par un outil.
Comment le manager commercial peut-il renforcer l'attractivité du métier auprès des jeunes ?
Il est important de tenir compte des aspirations de la génération Z, pour qui l'argent est important, mais n'est pas le moteur unique. La question de l'équilibre vie privée / vie professionnelle est clé. C'est une génération qui veut mener à bien ses projets personnels, avoir de l'autonomie et de la liberté. D'où la nécessité pour le manager commercial de se montrer flexible, d'être attentif aux motivations de chacun et à la quête de sens des jeunes. Lesquels s'interrogent beaucoup : mon travail a-t-il du sens ? Mon entreprise avance-t-elle dans la bonne direction, correspond-elle à mes valeurs ? On ne peut pas demander à un gestionnaire individuel de coacher et de trouver des solutions.
Au-delà du manager commercial, c'est l'entreprise entière qui doit prendre soin des jeunes et les motiver selon leurs valeurs communes. Actuellement, dans une entreprise, un directeur commercial peut avoir jusqu'à quatre générations différentes à gérer. Il faut prendre en compte tout l'écosystème de travail du manager commercial et ne pas se focaliser uniquement sur son leadership et son habileté