Faites rimer lenteur et succès
Auteur du best-seller "Éloge de la lenteur" traduit et diffusé dans le monde entier, Carl Honoré revient à la charge et pose de nouveau la question : est-ce que faire les choses vite, toujours plus vite rend effectivement plus productif ? Interview.
Je m'abonneLenteur et business peuvent-ils vraiment être compatibles ?
Il existe dans le monde du travail un véritable tabou de la lenteur. Elle est pour beaucoup synonyme de manque de productivité, voire de stupidité. Les gens ont peur de ralentir. Et pourtant, la lenteur ne semble pas incompatible avec le monde du travail. En fait, elle repose sur un paradoxe. En effet, pour être plus efficace dans un monde toujours plus rapide il faut ralentir. Ce n'est pas parce qu'on agit plus vite qu'on sera meilleur, plus productif.
Loin de moi l'idée d'être un fondamentaliste de la lenteur : j'adore la vitesse, je vis à Londres qui n'est franchement pas la ville la plus nonchalante !, je travaille avec des deadlines serrées, je pratique des sports de vitesse... Il ne s'agit pas de ralentir pour ralentir, il est clair que certaines urgences réclament un traitement rapide. L'idée, c'est de trouver le bon équilibre, de faire les bonnes choses à la bonne vitesse.
Difficile pourtant d'imposer son propre rythme à l'entreprise, non ?
Pour que la vision de la lenteur évolue, il est nécessaire d'entamer une véritable réflexion au sein des entreprises, d'initier un changement de culture, d'instaurer un dialogue interne à ce sujet. Si cela se joue au niveau des directions générales, le manager commercial peut également agir à son niveau. Par exemple en apprenant à ses commerciaux de nouveaux usages de la technologie. Bien souvent les commerciaux s'obligent à répondre à leurs e-mails ou messages en temps réel, parfois pour ne pas décevoir leurs clients. Or il n'est pas sûr que ce soit toujours utile ; dans certains cas ils peuvent même manquer de recul pour faire une réponse appropriée. Le directeur commercial peut alors les inciter à ménager, dans les journées, des temps de réponses. Pourquoi aussi ne pas aussi instaurer une semaine sans échanges de mails après 19 heures ? Une démarche poussée loin par Volkswagen Allemagne qui avait, un temps, rendu techniquement impossible d'envoyer un mail après ses heures de travail...
Des conseils qui ne valent que si le manager met lui-même en pratique les nouvelles règles qu'il a édictées. Le manager doit porter le changement car ses collaborateurs n'oseront pas le faire si leur chef n'est pas impliqué.
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Finalement, comment résister à la pression de ses clients, de sa direction ?
Face à un projet d'une quelconque envergure, il est important de ne négliger aucun détail, au risque d'avoir l'impression de perdre du temps. Pourtant c'est sur eux également que repose la réussite future d'un projet ; mieux, les prendre en compte peut permettre de repérer, et d'éviter, certains dangers... Un travail qui doit évidemment s'inscrire dans une réflexion stratégique globale et à long terme. Malgré les contraintes opérationnelles, malgré la nécessité d'être tous les jours sur le terrain, il faut ainsi prendre le temps de la réflexion pour imprimer une véritable direction à ses actions, que celles-ci soient cohérentes et nourrissent également la réussite du projet. A l'image d'un Bill Gates qui, deux semaines par an, avait l'habitude de s'évader en forêt pour réfléchir à la stratégie de Microsoft... Mais à défaut, l'on pourra simplement se ménager des plages horaire réservées dans son agenda chaque semaine...
Autre clé de réussite, la combinaison entre un travail collaboratif et la présence d'un leader est le gage d'une grande efficacité. Le travail collaboratif consiste à prendre du temps pour écouter les attentes de ses collaborateurs. Ce n'est pas perdre du temps mais plutôt en investir pour qu'ensuite les personnes soient à la fois mieux dans l'entreprise et plus concernées par la réalisation des projets discutés ensemble.
En termes de bonnes pratiques, les managers peuvent notamment s'inspirer d'Amazon. Certaines réunions de cadres du géant américain du Web commençaient par trente minutes de silence au cours desquels chacun des participants peaufinait son intervention. Ce qui donnait par la suite des réunions plus efficaces...
Autre exemple, celui de General Mills. Une expérimentation a été menée aux Etats-Unis au cours de laquelle l'entreprise a introduit un programme de méditation pour les salariés. Résultat, 80 % d'entre eux ont jugé que ce programme leur a permis d'être plus efficaces... Au-delà, les études ont montré que la pratique usuelle de la méditation a des incidences à long terme sur la structuration du cerveau et conduit les adeptes à gagner largement en efficacité. Autrement dit : une attitude plus méditative permet d'être plus efficace... C'est l'un des autres paradoxes de la lenteur. (>> voir un article de Fast Company sur la méditation)
>> D'autres idées à puiser
dans le dernier livre de Carl Honoré :
Lenteur, mode d'emploi,
Editions Marabout,
août 2013, 15,90 €
D'origine canadienne, basé à Londres,
Carl Honoré est journaliste,
conférencier et auteur de livres
sur la lenteur.
Il s'est imposé comme l'un des promoteurs
du Slow Movement dans le monde
à travers ses différentes activités
(conférences, presse, web).