DossierNégocier avec un forcené ou un acheteur, même combat !
La négociation est un exercice difficile pour des commerciaux faisant face à des acheteurs de plus en plus professionnels et entraînés. Comment convaincre et trouver un terrain d'entente ? Entretien avec Laurent Combalbert, ancien négociateur du Raid. Issu d'Action commerciale N°334 - Septembre 2013

Sommaire
- Négociation avec un forcené et un acheteur : quels points communs ?
- Action Commerciale : En quoi la négociation avec un forcené a-t-elle un lien avec celle menée avec un acheteur ?
- Existe-t-il une méthode infaillible en termes de négociation ?
- Quels sont les pouvoirs du négociateur ?
- D'après votre expérience, quelles sont les erreurs courantes en matière de négociation ?
- Existe-t-il des interdits en négociation ?
- Existe-t-il des interdits en négociation ?
- Comment détecter si notre interlocuteur nous ment ?
- Les règles de la négociation sont-elles les mêmes dans tous les pays ?
- Devient-on un bon négociateur ou est-ce inné ?
- Comment se termine une négociation ?
- Pour aller plus loin
1 Négociation avec un forcené et un acheteur : quels points communs ?
2 Action Commerciale : En quoi la négociation avec un forcené a-t-elle un lien avec celle menée avec un acheteur ?
Laurent Combalbert : L'approche est en tout point la même. Seuls les enjeux et les moyens mis en oeuvre diffèrent, car dans le cas de négociations avec des terroristes, des vies sont en jeu. En dehors de ce contexte, les techniques pour négocier restent les mêmes. Par exemple, lorsque j'intervenais au sein du Raid, je pratiquais l'écoute active avec les forcenés. Cette méthode consiste à écouter très attentivement les propos de l'autre, afin de poser les questions-clés et déterminer ainsi les motivations et les motifs de résistance de l'interlocuteur. Mais avant tout, il est important d'avoir à l'esprit que l'une des clés en matière de négociation - en conflit extrême comme en affaires -, réside dans l'optimisme. Aucune négociation n'est perdue d'avance. Et à ce titre, il ne faut pas sous-estimer la force de conviction. Un peu comme un patient faisant face à une maladie grave, où la force de conviction des médecins, avec lesquels nous travaillons également, est cruciale dans le processus de guérison. Sorte de prophétie auto-réalisatrice...
Diplômé en droit et criminologie, ainsi que de l'Académie du FBI, Laurent Combalbert a été officier négociateur au sein du Raid. Il est aujourd'hui dirigeant et cofondateur de l'Agence des Négociateurs, qui accompagne les entreprises dans la formation à la négociation.
Vidéo : poser les bonnes questions en négociation commerciale
En quoi la négociation avec un forcené a-t-elle un lien avec celle menée avec un acheteur ?
3 Existe-t-il une méthode infaillible en termes de négociation ?
Non, il n'existe pas de méthode infaillible pour la bonne raison qu'en négociation, il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses ! Ce qui est essentiel, c'est de se poser les bonnes questions.
Ainsi, afin d'aider à la préparation d'une négociation, nous avons, au sein de l'agence, modélisé un référentiel : le Pacificat. Il s'agit d'un acronyme pour : Pouvoir(s) de négociation, Analyse du contexte, Cartographie des acteurs, Identification de la stratégie, Formation de l'équipe, Influence, Clôture, Apprendre et Transmettre.
Chacun de ces neuf points correspond à une question à laquelle il importe d'apporter une réponse avant d'entrer dans la négociation, même si c'est un "Je ne sais pas".
- Quel est le pouvoir dont je dispose ?
- Jusqu'à quel point puis-je négocier ? (par exemple un prix en deçà duquel je ne peux pas descendre, une promotion au-delà de laquelle je ne peux rien accorder, etc.).
- Qui sont les acteurs en place et qui décide quoi ?
- Quelles techniques dois-je privilégier ?
- Quel commercial de mon équipe dois-je envoyer négocier ?
- Comment influencer pour convaincre ?
- Comment clôturer l'entretien ?
- Qu'ai-je appris de cette négociation ?
- Et, enfin, comment transmettre ce savoir ?
À chaque négociation, ces neuf questions doivent être posées.
Vidéo : La pouvoir de la négociation avec Laurent Combalbert
Pour bien négocier, il faut se poser les bonnes questions. Ainsi, l'Agence des Négociateurs propose neuf questions à se poser avant d'entamer une négociation.
4 Quels sont les pouvoirs du négociateur ?
Le négociateur dispose de quatre pouvoirs. Les "quatre as", comme je les surnomme. Tout d'abord, le pouvoir institutionnel, c'est-à-dire celui qui est conféré par le statut, le poste, le niveau hiérarchique ou encore la renommée de l'entreprise. Ensuite, le négociateur peut s'appuyer sur le pouvoir situationnel, lié au contexte. Par exemple, si je viens vendre un produit ou un service que personne d'autre ne propose sur le marché, je suis en position de force. Le troisième point est le pouvoir relationnel. Il s'agit de la capacité d'empathie, c'est-à-dire d'appréhender ce que son interlocuteur ressent tout en gardant la distance nécessaire pour ne pas se laisser envahir par l'émotion de l'autre. C'est une problématique souvent rencontrée chez les commerciaux, dès lors qu'ils négocient avec un client qu'ils apprécient particulièrement. D'un autre côté, les émotions sont nécessaires à la négociation dans la mesure où, pour vendre un produit, il faut y mettre du coeur et de la conviction. Toute la difficulté est de trouver l'émotion juste, de contrôler ses sentiments. Enfin le dernier point : le pouvoir personnel. Suivant que le négociateur est un homme ou une femme, un commercial junior ou senior - des caractéristiques propres à chacun et que l'on ne choisit pas - ces particularités seront un atout ou non dans le cadre d'une négociation.
Le négociateur détient plusieurs pouvoirs, liés par exemple à son statut, à son produit, à son empathie ou encore à ses caractéristiques propres.
5 D'après votre expérience, quelles sont les erreurs courantes en matière de négociation ?
La plupart du temps, les échecs proviennent d'un manque de préparation. Ce travail paraît évident, et pourtant il est souvent négligé. Tout comme pour un sportif avant une compétition, le commercial a besoin de se préparer avant une négociation. Construire sa stratégie, affiner ses arguments, mais aussi se tenir prêt physiquement. Par exemple, je recommande souvent aux personnes que j'entraîne dene pas se préparer la veille jusque tard dans la nuit. Mieux vaut miser sur une bonne nuit de sommeil pour mettre toutes les chances de son côté.
Autre erreur fréquente : confondre le négociateur et le décideur, qui sont généralement deux personnes distinctes. Il est important d'identifier les deux, car leurs objectifs ne sont pas les mêmes. Le décideur est celui qui fixe les limites de la négociation que mène pour lui le négociateur. Cependant, il arrive que ce dernier prenne la décision de modifier ce cadre. Par exemple, un directeur achat peut refuser que son acheteur ne signe tant qu'il n'obtient pas 8 % de réduction. L'acheteur en question, pour marquer des points auprès de son supérieur, peut repousser la limite à 10 %. Autrement dit, il est important pour le commercial de différencier le décideur du négociateur, et d'identifier leurs intérêts propres.
Enfin, beaucoup de commerciaux que je rencontre pensent que dans la négociation, il y a toujours un gagnant et un perdant. Cela arrive, mais le résultat d'une négociation est avant tout la création de valeur. 1 + 1 = 3. Si le vendeur cède sur un terrain, c'est pour gagner d'un autre côté. Par exemple, j'accepte de vendre mon produit moins cher à l'unité, mais l'acheteur s'engage à rester souscripteur sur le long terme.
Vidéo : les 7 phases d'une vente réussie
Manque de préparation, confusion entre négociateur et décideur, peur de perdre... Certaines erreurs sont courantes en négociation.
6 Existe-t-il des interdits en négociation ?
7 Existe-t-il des interdits en négociation ?
Chacun reste libre de faire ce qu'il veut, mais il est cependant des comportements à proscrire. En premier lieu, la manipulation. Tout simplement parce que cette attitude est plus que discutable en termes d'éthique. En outre, j'ajouterais qu'il est important d'éviter de mentir, car c'est une technique risquée ! En effet, l'interlocuteur finit généralement par s'en apercevoir. Dès lors, il n'a plus confiance en vous et le jeu de la négociation est terminé. Autrement dit, le mensonge ne peut être qu'une technique de "one shot", une carte jouable qu'une seule fois... Et puis, si le négociateur se fait démasquer en tant que menteur, cela le discrédite non seulement auprès de son interlocuteur mais aussi de ses équipes, puisque la plupart des entretiens commerciaux se déroulent de plus en plus collectivement. Toutefois, s'il est déconseillé de mentir, il est néanmoins possible d'omettre, de sous-entendre ou de bluffer, tout comme au poker.
8 Comment détecter si notre interlocuteur nous ment ?
Nous avons tous un comportement de base, à l'état "normal". Ce sont les écarts avec ce comportement habituel qui peuvent traduire le mensonge. Il s'agit donc d'interpréter les écarts comportementaux. Cela signifie qu'il faut être très attentif à la gestuelle et à l'élocution de votre interlocuteur en début d'entretien. Tout changement peut être le signe d'un mensonge. L'une des attitudes classiques d'une personne qui ment est de dire oui tout en faisant non de la tête, par exemple. Chez certains, cela peut encore se traduire par un débit de paroles qui s'accélère. Les signaux sont multiples et dépendent de chacun.
Vidéo : détecter le mensonge
Manipuler son interlocuteur, lui mentir... Est-ce permis lors d'une négociation ? Et comment détecter le mensonge ?
9 Les règles de la négociation sont-elles les mêmes dans tous les pays ?
Il existe des particularités suivant les cultures et les régions du monde. Par exemple, aux États- Unis, les négociations sont très directes et doivent rapidement aboutir. À l'inverse, aux Émirats arabes, ainsi qu'en France, la notion de temps n'est pas la même, et les rendez-vous commencent souvent en retard (alors que la ponctualité est toujours importante en entretien commercial !). Autre exemple intéressant : celui des pays asiatiques, où les décideurs ne sont jamais identifiables. À chaque étape de la négociation, les interlocuteurs changent, et il est impossible de déterminer qui décide quoi, ce qui peut être perturbant. Dans certains pays, il faut regarder son interlocuteur dans les yeux, alors que dans d'autres, c'est perçu comme une impolitesse. De même en ce qui concerne les échanges tactiles, tels que les poignées de mains... Aussi, comme pour n'importe quel entretien commercial, il importe de se renseigner sur les pratiques culturelles de l'interlocuteur avec lequel on traite.
A consulter : Négocier avec un interlocuteur étranger
Les négociations ne se déroulent pas de la même manière suivant l'origine des interlocuteurs. Il convient de se renseigner avant de traiter.
10 Devient-on un bon négociateur ou est-ce inné ?
Une partie des qualités du négociateur lui sont naturelles. D'ailleurs, les enfants sont d'excellents négociateurs, en particulier lorsqu'ils souhaitent obtenir une faveur de leurs parents... Cependant, devenir un bon négociateur, cela s'apprend. Ce qui signifie que tout le monde, a priori, peut l'être, à force d'expérience et d'entraînement. Toutefois, il faut disposer quand même de certaines appétences, comme pour les relations humaines notamment. Il faut également montrer une certaine capacité à se remettre en question, une disposition au travail sur soi et à la gestion des émotions. Il faut apprendre avant tout à se connaître soi-même. Différentes techniques existent : PNL, hypnose, rhétorique, analyse transactionnelle... Aucune n'est à privilégier par rapport à une autre, il ne faut rien se refuser. Enfin, il est clair qu'un négociateur aime aller au conflit. Car s'il n'y a pas de conflit, il s'agit simplement d'une vente, pas d'une négociation.
Vidéo : négocier avec succès au quotidien
Comment devient-on un bon négociateur ? Quelle est la part innée et la part acquise dans les capacités à négocier ?
11 Comment se termine une négociation ?
Une négociation s'achève par un closing, comme pour tout entretien commercial. Certains commerciaux éprouvent des difficultés à mettre un terme à leur négo. Soit le vendeur a obtenu ce qu'il souhaitait, mais il veut encore davantage, et donc il poursuit l'entretien ; soit il ne parvient pas à admettre que les deux parties ne parviendront finalement pas à un accord et il persiste alors inutilement. Mais ces situations inextricables proviennent la plupart du temps du fait que la stratégie de départ a été mal fixée : objectifs inatteignables, prix trop éloignés de ceux du marché... En outre, à toujours vouloir plus, on montre à la partie adverse que tout peut se négocier, ce qui peut se révéler, in fine, être une stratégie contre-productive.
Rappelons enfin que toute négociation doit être suivie d'un débriefing. Cette étape est pourtant fréquemment éludée par les équipes commerciales, sous prétexte que ce serait une perte de temps. C'est dommage, car c'est un manque à gagner considérable. Je recommande ainsi au négociateur de débriefer d'abord à chaud, par téléphone ou de visu, avec une personne neutre, en position d'observateur (qui aura pu assister ou non à l'entretien de négociation). Cela peut être un supérieur hiérarchique ou un collègue. Le débriefing doit être à la fois technique et émotionnel, porter sur le fond et sur la forme. Par la suite, un débriefing plus élaboré doit avoir lieu, dans la semaine suivant le rendez-vous. Une séance souvent collective qui reprend les questions de départ posées en préparation de l'entretien. Cette ultime étape de débriefing est essentielle car elle rend possible la transmission du savoir, trop souvent perdu par manque d'échange au sein de l'équipe. À ce titre, le directeur commercial doit être le garant de la circulation de ces informations. Ainsi, après plusieurs négociations et autant de séances de débriefing, il peut décider d'un changement et privilégier ou d'éviter telle ou telle approche suivant le client. Cette mise en commun des expériences, avec le temps, fait gagner vos négociations en efficacité.
Vidéo : le débriefing après un entretien commercial
Comment terminer une négociation ? Et quelles sont les étapes faisant suite à la négociation ?
12 Pour aller plus loin
Négociation : halte aux croyances !
La négociation ne tourne pas rond
Les professionnels mal à l'aise en négociation
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