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DossierPourquoi les commerciaux français ne savent pas vendre ?

Publié par Véronique Meot le

1 - De vrais freins culturels ?

Moins reconnue que dans d'autres pays et souffrant d'une mauvaise image, la fonction commerciale peine à imposer son leadership et en oublie les fondamentaux. Un paradoxe pour une activité porteuse d emploi et de rémunération attractive.

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Pour vendre aujourd'hui il ne suffit plus d'avoir du "bagout" et un peu de charme. Sur les marchés, la concurrence est rude, les bases de données prospects hyper-sollicitées et les acheteurs sur-informés. La fonction commerciale se transforme. Et la vente exige autant de méthode que de talent. Les commerciaux français s'en tirent-ils moins bien que les autres ? Possible. Surtout, leur métier n'a pas la cote. "En France, vendre ce n'est pas bien", dénonce Pascal Py, dirigeant de Forventor, cabinet spécialisé dans le conseil et la formation commerciale. L'expert pointe les racines judéo-chrétiennes d'un pays qui n'a pas su s'en départir. La première raison du manque de performance serait donc d'ordre culturel.

Pire, l'absence de reconnaissance et l'image négative de la fonction commerciale détournent les candidats. Gaëlle Menin-Urien, manager de l'offre formation vente et négociation pour le groupe Cegos, confirme le frein culturel et le regrette "car la fonction commerciale recrute !" observe-t-elle. Surtout, les écoles de commerce ne formeraient pas à la vente et délègueraient, de fait, cette mission aux entreprises. Or, il existe de fortes disparités dans les sociétés selon leur taille. Avec, d'un côté, les grands groupes qui forment leurs commerciaux avec beaucoup de méthodes et, de l'autre, les PME qui emploient des forces de vente apprenant leur métier sur le tas : "il n'est pas rare d'accueillir en stage des commerciaux qui exercent depuis sept ou huit ans et dont c'est la première formation aux techniques de vente", précise-t-elle.

La place des commerciaux dans l'organigramme des entreprises serait également en cause. Les directeurs commerciaux ne pèseraient pas assez lourd au sein des comités de direction. "En France, les entreprises sont organisées en zone de pouvoir (DG, DRH, DAF, etc.). La formation, alors qu'elle représente le premier levier de succès, reste le pré carré de la DRH. Le directeur commercial n'a pas le pouvoir de décision ", explique Pascal Py. Faute de position stratégique, les dirigeants commerciaux manqueraient de moyens pour créer des process et les faire appliquer par leurs troupes. Manifestement, les forces de vente sont formées au produit, puis lâchées sur les routes...


"Les commerciaux français ne sont pas moins bons que les autres"

Julie Dang Tran, directrice générale de Manutan France

"Les forces de vente françaises sont aguerries aux négociations, je ne peux pas dire que les commerciaux français sont moins bons que les autres. Mais le style est différent. Le Français est peut-être plus dans le relationnel et le Néerlandais dans l'analyse, mais l'un n'est pas meilleur que l'autre", estime Julie Dang Tran, directrice générale de Manutan France. Le groupe compte cinquante commerciaux qui travaillent en B to B et apparaissent davantage comme des partenaires conseils que des vendeurs. Ils accompagnent leurs clients dans des process de vente complexes.

"Nous avons beaucoup travaillé, avec le directeur commercial, la transformation du discours, concède la dirigeante. Nous sommes très actifs sur le sujet de la transformation des métiers et le changement d'approche". Manutan soutient les commerciaux dans leurs tâches : par exemple, le Digital Lab du groupe a développé l'application Savin'side(r) qui permet d'analyser les données des entreprises clientes et d'optimiser leurs achats indirects. Des formations et une plateforme de e-learning permettent aux forces de vente de maîtriser l'offre de produits (150 000 références au catalogue). Enfin, la direction teste un outil de feedback afin de garder le contact et d'échanger "en toute bienveillance" avec ses commerciaux.

Disparité salariale...

La question de la faible influence du directeur commercial interroge. Car la fonction est l'une des mieux rémunérées et la pénurie de talents renforce cette position. Le salaire moyen d'un directeur commercial en France s'élève ainsi à 80 K€ selon une étude du cabinet de recrutement Uptoo. Celui d'un commercial à 49,7 K € et oscille entre 34,6 K € pour un jeune diplômé et 65,3 K € pour un commercial expérimenté. Malgré une certaine stagnation qui se confirme - les structures préférant mettre en avant d'autres avantages tels que la culture d'entreprise, le bien-être au travail ou le collaboratif - les salaires des commerciaux restent élevés en 2019 par rapport à d'autres fonctions.

Mais cette belle rémunération cache des disparités suivant les secteurs. Les profils exports, IT et grands comptes s'arrachent à prix d'or (entre 57 et 63 K € ). "Certains mois, j'ai vu des commerciaux gagner plus que moi. Ils sont fortement valorisés et méritent de très bien gagner leur vie. Il faut dire que ce sont eux qui ramènent l'argent. Il n'est pas rare que dans des entreprises, les directeurs commerciaux gagnent plus que les DG, cela me semble très sain", confie Jonathan Anguelov, cofondateur et COO de Aircall, start-up française spécialiste de la téléphonie d'entreprise en forte croissance.

En revanche, les commerciaux sédentaires sont à la peine (37 K € par an), pas de quoi se surpasser... "Dans les postes très push, comme la vente par téléphone, les vendeurs en France sont très mauvais, notamment en B to C", juge Gaëlle Menin-Urien. Ils apprennent la prospection en masse sur la base de scénarios pré-écrits et ne savent pas répondre aux objections qui sortent des clous. Leurs managers misent sur le volume. On est loin de l'accompagnement client !

... et à l'international

Comparés à leurs homologues étrangers, les commerciaux français feraient pâle figure. Outre-Rhin, assure Pascal Py, le client est au coeur des préoccupations. "L'entreprise allemande est organisée autour d'une arête dorsale qui va de la R&D à la vente, les autres départements ne représentant qu'une arête latérale (DRH, DAF, etc.). L'acte de vente est privilégié dans l'ensemble du continuum", analyse-t-il. Et les vendeurs en première ligne ! Dans les pays anglo-saxons, ils sont également en meilleure posture. Guillaume Prince Labille, diplômé d'HEC Montréal, directeur de la business unit Grands comptes et Marchés publics en Île-de-France de l'opérateur téléphonique B to B Linkt, estime "qu'entre les commerciaux anglo-saxons et les commerciaux français, la différence est de taille".

Un élément le surprend encore : "Les Français ne cultivent pas la relation clients à long terme. Au Canada, les rencontres business afterwork permettent de devenir copains. Et, lorsqu'on change de boîte, on garde son réseau ! En France, les commerciaux zappent les contacts clients de leur employeur précédent, se privant ainsi de pouvoir rebondir". Certes, "la vente est plus valorisée dans le monde anglo-saxon, où la culture commerciale est plus affirmée que dans les pays latins ", admet Jean Muller, président national des DCF et directeur général délégué Commerce et Développement de JCDecaux. Mais son analyse se porte ailleurs : "qu'est ce que vendre aujourd'hui ? Voilà la vraie question à se poser car il est anachronique de continuer de penser que vendre se résume à du hard selling". Au-delà du cliché, la fonction se transforme en profondeur et semble prête à réaliser son autocritique.

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Véronique Meot

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