Comment accompagner ses KAM sur des projets internationaux ?
Les responsables de comptes stratégiques, encore plus que les autres commerciaux, ont souvent une dimension internationale dans leur mission. Face à la complexité des grands projets internationaux et des relations interculturelles, les responsables commerciaux peuvent aider leurs équipes.
Je m'abonneQuand une entreprise intègre à son organisation des responsables de comptes-clés, elle a souvent pour ambition de prendre part à des projets internationaux. Or, cela demande une certaine discipline, qu'a évoquée le responsable des comptes stratégiques internationaux de Lafarge Holcim, Nicolas Swetchine lors de la conférence de l'Association des Key Account Managers (AKAM).
L'entreprise peut avoir pour cible un contrat de fournisseur dans un grand projet transnational : la nouvelle centrale nucléaire Hinkey Point au Royaume-Uni, le projet One Belt One Road initié par la Chine dans plusieurs pays d'Afrique, la future voiture autonome de Renault... Les responsables grands comptes doivent alors adopter une stratégie appropriée à ces cas spécifique. En effet, les relations avec les comptes stratégiques supposent du long terme, des habitudes et une construction progressive pour développer la confiance. Au contraire, dans le cas d'un projet transnational, c'est un événement ponctuel qui sort de l'ordinaire, même s'il s'écoule souvent plusieurs décennies entre la conception et l'usage.
Il faut déjà avoir conscience que ce genre de projets présente un nombre d'acteurs impressionnant, bien loin des huit à dix que gèrent généralement les commerciaux au sein d'une grande entreprise. Ici, plusieurs organismes travaillent de concert : collectivités, organismes financiers, exécutants privés... Il faut donc confier ce marché potentiel à des KAM habitués à ce niveau de complexité, capables de comprendre à quelles personnes ils doivent s'adresser.
Dans tous les cas, " les comptes-clés sont souvent un pilote à l'intérieur d'un projet plus large, ils sont rarement les clients finaux ", estime Nicolas Swetchine. Selon leur domaine d'activité, les commerciaux responsables de comptes stratégiques vont souvent vendre à un fournisseur du client final du projet plutôt qu'à celui-ci.
C'est pourquoi, sur des projets ambitieux, mieux vaut faire travailler plusieurs KAM entre eux : quand certains peuvent négocier, sur place, avec les acteurs impliqués dans le projet sur le terrain, d'autres peuvent traiter avec les sièges sociaux nationaux - car s'il est une phrase qu'entend souvent un commercial sur des projets de grande envergure, c'est " je ne décide pas, voyez avec le siège ". Coordonner une équipe sur le sujet peut donc augmenter ses chances d'obtenir de bons résultats.
Construire sa légitimité
Mais les achats dans ces projets sont souvent orientés prix et standardisation, avec des spécifications précises, quand les KAM cherchent à construire une relation personnalisée. Pour ce faire, ils doivent donc construire une légitimité vis-à-vis des prospects dans le cadre du projet. Dans ce genre de projets, la légitimité se construit souvent autour de trois axes, explique le responsable des comptes-clés de Laferge-Holcim : une vision partagée (par exemple, dans le cadre du Grand Paris, faire de Paris une métropole plus importante que Londres), des règles communes (indispensables sur un temps long), et des membres cooptés. Or, cela advient très tôt dans le processus
Comment faire pour que vos interlocuteurs vous considèrent comme un membre du projet ou, au moins, comme un interlocuteur naturel quand on arrive tard dans le processus, comme c'est souvent le cas pour un fournisseur ? Nicolas Swetchine rappelle qu'en théorie des organisations, l'école du néo-institutionnalisme définit trois sources de légitimité dans un projet, qu'il est recommandé de combiner :
- la légitimité pragmatique : montrer ses résultats et ses références à ses partenaires potentiels. " C'est la plus utilisée et pourtant la moins efficace ", souligne-t-il.
- la légitimité procédurale : appliquer les mêmes règles, suivre les procédures de ses partenaires. " Pour être accepté, il faut suivre les règles et ne pas être différent, juge le responsable de Lafarge et Holcim. Tout le monde dit aimer l'innovation, mais c'est faux. "
- la légitimité cognitive : faire ou s'engager à faire ce que les autres considèrent être " bien " - limiter la pollution dans son action, par exemple.
Les KAM doivent ainsi montrer qu'ils sont comme leurs interlocuteurs. Cela passe par fixer les prix de la même façon - à la tonne, à l'unité produite... et parler le même langage, montrer que l'on connaît son univers. Pour remporter un contrat dans un projet de mines, Lafarge et Holcim, qui produit du ciment, a ainsi nommé en interne des " responsables des mines ", chargés d'être experts sur le métier, et a banni le mot " ciment " de ses documents commerciaux au profit de lexique propre à cet univers. Quoi qu'il en soit, " la légitimité se gagne d'abord par le travail ", résume Nicolas Swetchine. "Connaître la culture du projet, y compris technique, réseauter au sens le plus large possible, connaître le projet qu'on aborde sur le bout des doigts, travailler ses partenariats ", poursuit-il.
Comment gérer des KAM à l'étranger ?
Dans un contexte international, l'entreprise peut aussi vouloir implanter un département de KAM dans plusieurs pays. Et là, comme sur des projets ponctuels, attention aux différences interculturelles. En effet, le rôle de responsable des comptes stratégiques ne se vaut pas dans tous les pays. Pourtant, 90% de la littérature à ce sujet provient de pays occidentaux, explique Fawaz Baddar, directeur d'un Master en négociation internationale à l'IESEG Business School. Les responsables commerciaux peuvent alors être tentés de calquer un fonctionnement occidental dans des régions très différentes.
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Fawaz Baddar a mené une étude sur les KAM dans les Emirats Arabes Unis et la Jordanie. Dans ces pays, certains critères de recrutement des KAM diffèrent : la situation familiale ou l'âge sont pris en compte. Un commercial ayant l'air senior sera jugé comme plus légitime par ses prospects et ses clients.
Les relations commerciales sont également construites à travers le " wasta ", une forme particulière de réseau informel, et dont l'activation permet d'accomplir énormément d'actions. C'est la délimitation du wasta (basée, entre autres, sur l'appartenance à une famille et un clan) qui permettra aux KAM d'entrer en contact avec des prospects et de faire affaire. Une notion mal comprise par les responsables commerciaux, mais qu'ils doivent assimiler s'ils veulent pouvoir gérer des équipes dans cette partie du monde.
De la même façon, le rôle des managers n'est pas le même. Aux yeux des clients, les hauts responsables de l'entreprise doivent obligatoirement être présents lors de certains rendez-vous commerciaux importants, même quand ils ne disent rien. D'ailleurs, Fawaz Baddar affirme qu'ils peuvent renvoyer un commercial qui viendrait seul.
Est-il alors possible de développer des KAM étrangers à ce pays ? Selon les observations de Fawaz Baddar, cela s'avère très compliqué, car les commerciaux étrangers auront plus de mal à obtenir la légitimité nécessaire. Dans les filiales locales d'entreprises multinationales, les KAM locaux sont généralement en charge des clients locaux, les KAM étrangers ne traitant qu'avec les clients étrangers.