Gaël Durand, directeur général adjoint en charge de la BU Europe, Yoplait « Notre appartenance à une coopérative : un argument commercial fort »
La marque de yaourts Yoplait se différencie des autres enseignes présentes en rayon par son modèle d'entreprise. En effet, Yoplait appartient à une coopérative, et ses actionnaires sont les éleveurs qui fournissent le lait, matière première principale des produits. Une spécificité qui a son importance en matière d'argumentaire commercial. Explications avec Gaël Durand, DGA BU Europe de la marque.
Je m'abonneComment a évolué la stratégie de Yoplait ces dernières années ?
Gaël Durand : Depuis décembre 2021, Yoplait renoue avec ses origines, à travers le rachat de la marque par Sodiaal, première coopérative laitière française, auprès de General Mills, qui en détenait 51% depuis 2011 (Sodiaal, qui s'appelait alors Sodima, a créé la marque Yoplait en 1965, ndlr). Ce changement est très structurant pour nous, car il implique que nos seuls actionnaires sont nos 15 300 éleveurs et producteurs laitiers. Nous avons profité de cette occasion pour retrouver notre ADN de marque - proposer des produits bons, sains et à prix abordables - et notre culture d'entreprise appartenant à une coopérative, mais aussi de définir les lignes de notre stratégie.
Plus concrètement, six mois après la reprise, nous partagions notre projet de croissance pour Yoplait avec l'ensemble des équipes. Fin 2023, soit deux ans après son retour au sein de Sodiaal, Yoplait réalise un chiffre d'affaires de 786 millions d'euros, en croissance de 25%.
Ce plan de croissance a été co-construit entre la direction et les collaborateurs. Au moment de la définition de notre stratégie, nous avons nommé une équipe d'ambassadeurs. Des collaborateurs avec beaucoup ou peu d'ancienneté, occupant des postes opérationnels ou stratégiques, à plus ou moins haute responsabilité, jeunes ou moins jeunes : tout le monde avait vocation à participer, sans lien hiérarchique au sein du groupe. Pendant six mois, cette équipe a travaillé, guidée par la direction, à l'élaboration de grands axes stratégiques. Ce fonctionnement coopératif a été un vrai plus dans l'adhésion des collaborateurs à la vision stratégique de Yoplait.
Quels leviers activez-vous pour susciter l'engagement des collaborateurs autour du projet d'entreprise ?
G.D : En plus de l'acculturation à cette démarche d'inclusion des collaborateurs dans l'élaboration-même de la stratégie, nous avons mis l'accent sur notre appartenance à une coopérative, en rapprochant les collaborateurs des éleveurs.
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Par exemple, nous avons organisé des rencontres et des visites au sein des fermes, permettant à chacun de mieux comprendre le métier et les enjeux d'un éleveur laitier en France. C'est un atout, en particulier pour nos 160 commerciaux. Qu'ils soient sur le terrain, négociateurs en centrale ou Category Managers : tous sont à même de mieux parler de nos produits auprès de nos clients et des consommateurs finaux. Notre appartenance à une coopérative et la proximité avec les éleveurs qui en découle constitue un argument commercial fort et un axe de différenciation stratégique vis-à-vis de la concurrence.
Nous avons également invité des éleveurs à accompagner nos commerciaux en magasin pour participer à des démonstrations produits. Autant d'actions qui viennent ancrer l'appartenance de Yoplait à la coopérative.
Mesurez-vous cet engagement ?
G.D : Absolument. Nous faisons appel aux services d'une jeune entreprise spécialisée dans le feedback instantané : Supermood. En effet, nous souhaitions un dispositif permettant une grande réactivité, critère important dans notre volonté d'engager l'ensemble des équipes. Ainsi, nous prenons connaissance de l'engagement de nos collaborateurs en temps réel. Nous avons accès au Net Promoter Score, qui a progressé de plus de 30 points en deux ans. Cet engagement constitue une satisfaction et un véritable atout concurrentiel.
Plus particulièrement, pour la force de vente, nous remarquons que nos commerciaux recommandent largement l'entreprise Yoplait, qu'ils considèrent comme une société pour laquelle ils sont fiers de travailler. Fierté particulièrement marquée dans la population des commerciaux terrain, dont le score qui est ainsi passé de -6 à +50 points en deux ans. Par ailleurs, nous notons avec satisfaction que 60% d'entre eux nous attribuent une note de 9/10 et plus, traduisant un fort engagement.
Comment se traduit la stratégie de l'entreprise du point de vue de l'organisation commerciale Yoplait ?
G.D : Pour nos 120 commerciaux terrain, dont 100 adressent la GMS et 20 la CHD (consommation hors domicile, ndlr), il s'agit pour eux de redevenir experts de leur rayon. Lorsqu'elle est passée sous la direction de General Mills, la force de vente est devenue multiproduits, en vendant à la fois des glaces, des yaourts ou des produits mexicains. Nous avons recentré nos commerciaux sur l'ultra-frais, dont ils sont redevenus les spécialistes. Pour y parvenir, nous avons fortement investi dans des formations produits ainsi que dans une meilleure connaissance de notre catégorie.
Enfin, en parallèle de notre force de vente interne, nous faisons appel ponctuellement à de la force de vente externalisée lors de pics d'activités, que nous pouvons rencontrer en été, mais aussi dans le cadre de lancement de produits, pour lesquels nous pouvons être amenés à organiser des opérations commandos. Par ailleurs, nous accueillons des alternants et des stagiaires au sein de la force de vente, notamment pour renforcer notre présence auprès des points de vente de proximité.
Quel est impact de l'inflation sur votre activité ?
G.D : Avec la crise des matières premières, nous avons subi des fortes inflations, avec des tensions d'approvisionnement. Toutefois, nous avons su conserver de très bons taux de service avons réussi à minimiser cet impact grâce à l'engagement et au travail d'anticipation de nos collaborateurs.
De plus, notre positionnement de prix, en moyenne plus abordable que celui de nos concurrents, nous a permis de maintenir nos volumes de vente pendant la crise.
D'aucuns constatent des relations tendues entre industriels et distributeurs. Est-ce votre cas ?
G.D : La GMS représente 93% de l'ensemble de nos canaux de distribution en France, les 7% restants constituant le réseau CHD. Nous entretenons de bonnes relations avec les acteurs de la grande distribution. Ils nous font confiance, et, là encore, notre identité coopérative joue en notre faveur. Lorsque nous négocions des prix à la hausse, nous contribuons aux revenus de nos éleveurs, et le démontrons aussi souvent que nécessaire à nos clients. Un système vertueux qui fait ses preuves et qui est largement apprécié.
Nos commerciaux redeviennent experts de leur rayon
Vous êtes également présents en Europe et dans plus de 40 pays dans le monde. Quels enrichissements en retirez-vous ?
G.D : Nous sommes présents à l'étranger par le biais de nos filiales et distributeurs en Europe (Royaume-Uni, Irlande et Belgique) et de nos franchises dans le reste du monde (États-Unis, Mexique, Australie, etc.) Nous souhaitons continuer à développer ces franchises à travers deux axes, faire croître nos principaux franchisés et trouver de nouveaux partenaires.
Nous échangeons régulièrement avec nos partenaires franchisés, afin d'observer des tendances, de faire remonter les best practices. C'est d'ailleurs par ce biais que nous avons remarqué la tendance mondiale au développement des produits protéinés (d'origine animale ou non), nous confortant dans le lancement de notre gamme de Yoplait Skyr en 2022. Un franc succès puisqu'en à peine deux ans, nous sommes passés de 8 à 40% de parts de marché !
Vous venez de sortir un nouvel emballage de yaourt grand format. Quel en est l'objectif ?
G.D : En effet, il s'agit de nos yaourts emballés en brique. Cet emballage contient l'équivalent de six pots de yaourt individuels, permettant une réduction de 50% d'emballage avec quatre fois moins de plastique. Ce lancement s'inscrit dans nos engagements pour des emballages plus responsables qui s'articulent autour de deux stratégies prioritaires : réduire les quantités d'emballage en priorisant la réduction du plastique et atteindre 100% d'emballage recyclables.
Au-delà de cette innovation, Yoplait inscrit l'ensemble de ses emballages dans cette démarche, avec par exemple une réduction de 6 à 10% de plastique dans nos emballages des petits formats Yop. Au-delà de la réduction à la source nous cherchons aussi à utiliser de la matière recyclée, nous avons été les premiers à utiliser en France du plastique recyclé dans les pots de yaourts en polystyrène . Ainsi, sur notre gamme Yoplait Skyr, les emballages de nos petits pots utilisent 30% de plastique recyclé.
Ces stratégies sont en cohérence avec l'enjeu majeur de réduction de l'empreinte carbone de notre coopérative Sodiaal dans le cadre des engagements validés SBTI de réduction de 30% entre 2019 et 2030 incluant une réduction de 20% au litre de lait.
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Quelle place occupe le digital chez Yoplait ?
G.D : Le digital occupe une place croissante, aussi bien dans nos ventes que dans notre organisation. Le e-commerce croît plus rapidement que notre commerce physique (+ 4% pour la France) et reste aussi important qu'à l'époque de la crise sanitaire. Les ventes en ligne représentent ainsi 12,5% de nos ventes totales en France, mais aussi plus de 25% pour le marché britannique, ce qui nous laisse penser qu'il existe encore un fort potentiel pour le marché français.
Le digital est aussi présent dans notre façon de travailler, et l'intelligence artificielle commence à prendre place, avec le lancement d'un programme d'acculturation à l'IA, pour que nos équipes - tous services confondus - se familiarisent avec ces technologies. Nous ne cherchons pas à en imposer l'usage, mais créons les conditions pour remonter les bonnes idées, les cas d'usage, et discuter de son intégration. Nous avons organisé à ce titre la journée « DigiYop », entièrement consacrée à la présentation de cas d'utilisations possibles par les collaborateurs. Ensuite, nous prenons des décisions ensemble, à travers un système de vote via une appli digitale. Nous n'en sommes encore qu'aux prémices, mais nous notons l'importance cruciale à l'avenir d'inclure cette technologie dans notre quotidien. Et pour cela comme pour tous les autres projets de développement de l'entreprise, 1 250 esprits (et palais) valent mieux qu'un !