[Interview] Comment les forces de vente doivent-elles réagir à la vengeance du consommateur ?
Une réclamation mal traitée, et le consommateur risque de se venger. Ce phénomène, accentué par les réseaux sociaux, met les commerciaux dans une situation délicate. Jean-Marc Decaudin, expert en communication des marques, explique comment les forces de vente doivent réagir.
Je m'abonneLa vengeance du consommateur est-elle un phénomène récent ?
Cela a toujours existé, mais ce qui change aujourd'hui, c'est l'utilisation d'Internet et des réseaux sociaux, ce qui permet une diffusion massive et rapide des critiques.
Dans un premier temps, il y a une faute d'une entreprise, mais ce qui va déclencher l'envie de vengeance, c'est que l'entreprise ne répond pas ou mal à la plainte du client. En étant incapable de prendre en compte et résoudre correctement son problème, le client va alors décider de se venger en communiquant sur l'événement négatif qu'il a vécu, ce qui entache la réputation de la marque.
Mais plus récemment, depuis le début des années 2010, il y a aussi des manifestations de consommateurs jugeant le comportement d'une marque non éthique. On peut citer l'appel à boycott de Guerlain et la manifestation devant le siège de la marque, quand Jean-Paul Guerlain avait déclaré "à travailler comme un nègre", ajoutant "Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé".
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Mais cela dépend aussi des valeurs de l'entreprise : si L'Oréal teste ses produits sur les animaux, cela ne provoquera pas un vrai scandale, car l'entreprise ne promeut pas de valeurs particulièrement humanistes. Mais si on découvrait la même chose pour Body Shop, qui porte des valeurs plus éthiques, là cela serait très mal vu.
Aujourd'hui, il y a une dimension d'immédiateté qui fait que les marques doivent être beaucoup plus sensibilisées à ce problème. United Airlines a eu de nombreux bad buzz sur les réseaux sociaux à cause: quand elle a refusé de faire monter une jeune fille portant des leggings au prétexte que sa tenue était inappropriée, ou quand elle a "égaré" durant plusieurs heures un enfant voyageant sur ses lignes.
United Airlines a perdu 40% en bourse quand un chanteur a expliqué en vidéo que la compagnie avait cassé sa guitare.
Dans tous les cas, cela entraine une perte de confiance de la part des consommateurs, une baisse des ventes et une chute en bourse. Le cours United Airlines en bourse a perdu 30% de sa valeur en 48 heures lors de la médiatisation d'un problème de surbooking, et 40% lorsqu'un chanteur de country a fait une vidéo où il affirmait que la compagnie avait cassé sa guitare.
Comment les forces de vente doivent-elles réagir quand ce genre de scandale éclate ?
En première ligne, il doit d'abord y avoir le community management et le service communication. Ensuite, très vite il faut impliquer le terrain en contact avec les clients, et surtout les commerciaux. L'entreprise doit être réactive, et la direction doit faire un retour immédiat aux équipes sur le terrain, expliquer le problème et fournir un argumentaire, pour que les commerciaux ne se retrouvent pas démunis face aux clients qui vont évoquer le scandale.
Le commercial doit dire "on a eu un problème, voici ce que nous allons faire pour que cela ne se reproduise pas"
Le problème survient quand on ne répond pas ou mal aux clients qui s'inquiètent de ces scandales. Il faut au contraire développer la transparence et reconnaître ses erreurs. Quand un service de l'entreprise est fautif, le commercial doit dire "on a eu un problème, on va mettre en place une procédure interne, avec des indicateurs précis pour éviter que cela ne se reproduise". Le service client doit recevoir toutes les plaintes avec empathie, mais le commercial doit aussi montrer dans son discours que l'entreprise a pris conscience du problème et cherche à y remédier.
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Mais il faut agir rapidement : le PDG de Toyota a mis un an pour s'excuser suite au renvoi massif de véhicules en raison de problèmes techniques. Cela veut dire que durant tout ce temps, les équipes terrain n'avaient aucune procédure à suivre pour répondre aux plaintes des clients.
Or, quand les clients sont partis, il est très difficile de les faire revenir. Si on a les moyens de mener une enquête auprès des clients qui nous ont quitté, il est éventuellement possible de voir ce qui a été déterminant dans leur départ pour éviter que cela ne se reproduise.
Et comment prévenir en amont ces phénomènes ?
Je crois beaucoup à la complémentarité entre l'action individualisée et de masse. Il faut que le discours dans les médias corresponde à ce que le client entend quand il discute avec le commercial, d'où l'importance d'une communication interne performante.
La direction doit être transparente et expliquer les problèmes que les commerciaux risquent de rencontrer
Dans l'idéal, l'entreprise doit être citoyenne, avoir des valeurs, et que cela soit porté par chaque personne de l'entreprise. La force de vente doit ainsi avoir un discours empreint de ces valeurs pour soutenir l'aspect purement commercial. Elle doit être cohérente avec le positionnement de l'entreprise, et être alertée en amont sur de possibles problèmes.
Pour cela, la direction doit être très transparente et expliquer, à côté des aspects positifs, les problèmes qui risquent un jour de survenir, en donnant les moyens d'y répondre si la situation se présente. Par exemple, si un constructeur de voiture n'explique pas qu'il met en avant de bonnes performances énergétiques selon certains critères dans sa communication, mais qu'il passe sous silence de moins bons indicateurs, les commerciaux doivent le savoir. Sinon, quand des clients viennent les questionner sur ces indicateurs moins bons, les vendeurs ne sauront pas et se retrouveront moins bien informés que les acheteurs. Cela demande une communication interne excellente, car en présence du client, le commercial va avoir un discours sur le fil du rasoir, durant lequel il doit mettre en avant les points positifs, mais être capable de reconnaître les problèmes si le client les évoque.
L'envie de vengeance survient quand le client éprouve un sentiment d'injustice, il faut donc sur le terrain être capable de repérer ce sentiment très tôt, faire preuve d'empathie et montrer que l'on répond à ce sentiment d'injustice.
Jean-Marc Decaudin est enseignant - chercheur en marketing à la Toulouse Business School et à la Toulouse School of Management (Université Toulouse Capitole). Ses recherches portent notamment sur la communication des marques. Il a publié plusieurs ouvrages, dont "e-Réputation des marques, des produits et des dirigeants".
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