DossierRSE : quel impact pour la fonction commerciale ?
3 - RSE : de nouveaux ressorts de motivation
Comment manager « sobrement » sa force de vente ? Comment la motiver en limitant les dépenses ? Il est nécessaire pour cela de faire vibrer de nouvelles cordes sensibles.
Entre un mercenaire de la vente, dont la motivation repose sur le chiffre d'affaires toujours plus gros qu'il rapporte et qui lui garantit un salaire toujours plus élevé, et un commercial « sobre », lequel des deux va rester le plus longtemps dans l'entreprise ?
« Si la seule valeur qui lie un commercial à son entreprise est l'argent, il finira par quitter son employeur pour se vendre ailleurs, au plus offrant», prévient Thierry Gordillo (AME Executive Search). Si en revanche, l'entreprise a recruté, motivé et fidélisé le vendeur par des valeurs différentes et qui résonnent pour la personne, la relation pourra perdurer.
« La motivation passe chez nous par les conditions de travail, avec un management bienveillant qui fait monter les salariés en compétence, par l'esprit d'équipe, la qualité de vie au travail et le fait de participer à de beaux projets collectifs. Lesquels peuvent porter sur tout type de sujet : nouveaux modèles de vente, marketing, etc », résume Emmanuelle Guidetti (Brother). Les directeurs commerciaux le reconnaissent : pour recruter des jeunes, l'entreprise doit donner du sens à leur métier et montrer patte blanche au plan environnemental.
« Notre canal de recrutement principal est le bouche à oreille, via des bureaux d'études ou des clients. Très souvent, les candidats ont entendu parler de l'exemple d'Airbus, à qui nous avons fait économiser 40% de sa consommation énergétique, sur une installation. Les jeunes commerciaux sont sensibles à vendre des offres vertueuses», relate Cyrille Bois, directeur commercial de Sintra.
Entretenir la fierté
De même chez Brother, Emmanuelle Guidetti relève : « Notre groupe est fortement engagé dans les problématiques RSE, nous participons via des associations à des actions de préservation de la biodiversité, de reforestation, nous avons un objectif de réduction des émissions de CO2 de 65% d'ici 2030 : tout cela fait sens auprès des jeunes, un profil notamment recruté en apprentissage dans la fonction commerciale. »
Une fois recruté, encore faut-il motiver un vendeur sur le long terme et le fidéliser. Comment résoudre une telle équation en période de sobriété ? Pour Bruno Delezenne : «C'est un peu dur de dire à un commercial « sois sobre ». Il faut réfléchir à ce que l'on souhaite valoriser, quitte à objectiver différemment tout en entretenant le sentiment de fierté des commerciaux. Aujourd'hui, on a tendance à valoriser le CA rapporté. Or, on peut valoriser la valeur ajoutée procurée aux clients, leur fidélité, certains Go/No Go pertinents quand on a détecté à temps que l'on n'apporterait pas de valeur à la cible. »
Ce nouveau mode d'action n'est pas simple à mettre en oeuvre et il convient de s'assurer qu'à court et moyen terme, la période transitoire entre les anciennes pratiques et les nouvelles ne mette pas le business en péril. Ceci par une connaissance toujours plus fine des clients et de leurs problématiques. Côté rémunération, Bruno Delezenne remarque : « On commence à entendre parler de commerciaux payés uniquement au fixe, ou avec un variable identique au reste de l'entreprise. Cela peut contribuer à la sobriété, en évitant d'encourager les vendeurs à vendre de l'inutile et en étant un argument pour les clients : n'ayez pas peur de nos commerciaux, ils sont payés au fixe ! Mais attention : cela ne veut pas dire mal payer les commerciaux : il faut leur garantir de bons revenus »
Convivialité de proximité
Une autre piste pour encourager les commerciaux à la sobriété est d'introduire au sein des objectifs qualitatifs, un critère lié à l'empreinte carbone. Des applications existent, qui mesurent l'empreinte carbone des déplacements et actes de la vie courante.
Par ailleurs, il n'y a pas de management commercial sans convivialité : dès lors, comment concilier celle-ci avec la sobriété ? « Il est primordial de fêter les victoires, les commerciaux ont un fonctionnement affectif, ils doivent se sentir entourés, appréciés à leur juste mesure », explique Laurent Charret, DG courtage chez ECA Assurances.
Chaque entreprise agit alors en cohérence avec sa politique : « Récompenser les meilleurs vendeurs avec un bon pour dîner dans un restaurant d'exception peut être aussi marquant que de leur offrir un cadeau physique, estime Cyril Mathiot, directeur commercial de l'éditeur Eloquant. Par ailleurs, nous avons pu organiser cette année un séminaire commercial. Comme nous sommes attentifs à notre empreinte carbone, nous avons privilégié la proximité en nous rendant à 1h de nos bureaux, dans une station de ski où nous avons eu accès à des prestations de qualité. Et la dernière journée, nous avons privilégié la détente en skiant ensemble. On peut donc passer de bons moments, marquants, sans pour autant être dispendieux. En interne, ce séminaire a eu un retentissement positif y compris auprès des autres services. De fait, comme les commerciaux collaborent étroitement avec les autres équipes Eloquant, notamment pour répondre aux appels d'offres et faire des soutenances, ils s'alignent avec le reste de l'entreprise et sa politique RSE, qui implique une forme de sobriété »
Exit les traitements particuliers et dispendieux, au sein d'une entreprise sobre. Quant aux indispensables incentives et challenges, ceux-ci aussi semblent se montrer plus mesurés (voir encadré). Entre une plage de l'océan Indien et un château médiéval francilien, les directeurs commerciaux doivent arbitrer de manière serrée...et en toute cohérence. Car la fonction commerciale, au coeur de l'entreprise, est aussi son moteur vers de nouveaux comportements.
« Plus de sobriété dans les événements »
Thomas Faizant, dirigeant de l'agence événementielle Prochaine Escale
La demande des entreprises pour l'organisation de séminaires et incentives a changé, selon Thomas Faizant, qui dirige l'agence Prochaine Escale. « Désormais, nos clients nous réclament d'aller vers des destinations moins exotiques et en adoptant un comportement plus sobre, plus responsable au plan de l'environnement ». Même si, reconnaît cet organisateur, les populations commerciales sont, dans l'entreprise, celles qui ont encore les yeux qui brillent à l'évocation des plages lointaines. « Nous avons systématisé le bilan carbone, explique Thomas Faizant. Quand nous faisons une recommandation à un client, nous l'associons à une émission en CO2 en comparant avec notre moyenne. Et si l'événement proposé est polluant, notamment parce qu'il faut prendre l'avion, nous proposons une alternative sobre qui peut se dérouler en France et en empruntant le train. » Lors d'un déplacement de proximité, il est nécessaire de marquer les esprits par un contenu valorisant : privatisation de châteaux et de lieux d'exception, spectacles, mais aussi découverte du terroir et de l'artisanat local. Une thématique forte et enrichissante contrebalance alors la féérie des plages exotiques de l'île Maurice ou de la République Dominicaine.