Vincent Vallin (Duralex) "Relancer une marque emblématique : l'une des plus belles missions pour un directeur commercial"
Stratégie. En 80 années d'existence, Duralex a survécu à six dépôts de bilan. Le dernier en date, en avril 2024, marque un tournant avec la reprise de l'entreprise par ses salariés. À la tête des opérations commerciales : Vincent Vallin, qui compte s'appuyer sur l'affect des Français pour les fameux verres de cantine, mais aussi des efforts de modernisation et l'extension des réseaux de distribution pour relancer la marque.
Je m'abonneVous avez porté le projet de reprise de Duralex par ses salariés. Quelle stratégie commerciale envisagez-vous ?
Le diagnostic de l'entreprise lors de mon arrivée officielle, le 1er août 2024, fut de constater que l'usine, puisque c'est une entreprise industrielle, est capable d'accompagner la croissance que nous visons. La reprise s'est effectuée sans aucun licenciement. Ainsi, compte tenu de la structure et des coûts actuels, nous ciblons une croissance du chiffre d'affaires de 27 à 35 millions d'euros, d'ici à trois ans, puis de 40 millions dans cinq ans, ce qui ouvrira des possibilités en matière d'investissement et de fonds propres. Au-delà de 40 millions d'euros, Duralex deviendra rentable.
C'est un challenge de taille, dont la première étape est le recrutement de forces commerciales et marketing. Je viens de recruter une directrice marketing, et procède actuellement au recrutement de 10 personnes côté commercial, et quatre côté marketing. Je recherche beaucoup d'expertises : de solides connaissances dans les arts de la table, des compétences en matière de distribution, que ce soit auprès de grandes surfaces spécialisées ou de grossistes puisque nous adressons ces deux types de partenaires commerciaux. Je suis également attentif à l'appétence pour le digital et le e-commerce des futures recrues, dans le cadre de notre stratégie de vente en ligne. Enfin, je recherche des profils d'experts mais aussi d'entrepreneurs.
La stratégie de distribution est mon cheval de bataille.
En parallèle, nous devons faire évoluer notre stratégie de distribution, et assurer une cohérence au niveau de la politique commerciale et tarifaire. Avant la reprise par Pyrex en 2021, la politique de distribution était plutôt erratique, avec d'un côté des distributeurs officiels et de l'autre des « soldeurs » bradant les produits pour vendre. La stratégie de distribution est mon cheval de bataille. En France, nous travaillons avec des grossistes et des enseignes, et uniquement avec des grossistes à l'international. Je recherche des partenaires des arts de table structurés, disposant de leur propre force de vente, de leurs services marketing et achats ; des partenaires actifs sur les salons de la profession, et qui disposent d'une bonne capacité de stockage. Nous nous appuierons aussi sur de nouveaux distributeurs indépendants.
Un troisième axe stratégique est le développement du digital, concernant notre propre site e-commerce, ceux de nos distributeurs ainsi que les marketplaces.
La force de vente a-t-elle suivi le nouveau virage pris par Duralex ?
La force de vente depuis trois ans était d'environ 35 commerciaux, qui vendaient à la fois les produits Pyrex et Duralex. En effet, en 2021, La Maison Française du Verre (ex-groupe International Cookware et fabricant des produits Pyrex, ndlr) avait racheté la marque Duralex, mutualisant ainsi les forces de vente.
Dans le cadre de la reprise de Duralex, trois collaborateurs de cette ancienne force de vente mutualisée font désormais partie de notre « nouvelle » équipe de vente. Il s'agit de deux responsables commerciaux en Food Service, et un troisième dédié aux grandes surfaces spécialisées et aux marchés BtoB (verres pour confiture, moutarde, miel, bougies, etc.)
En ce qui concerne mon poste, je m'occupe aussi commercialement des marchés France, Europe du Sud et Moyen-Orient en direct. Je veux absolument garder contact avec le terrain pour « prendre la température » client et marché.
Comment accompagnez-vous cette équipe historique vers la transition ?
C'est une mission particulièrement difficile. La charge de travail est colossale. Je m'appuie sur mes expériences passées, puisque j'ai notamment accompagné des fusions et des restructurations de forces de vente dans mes fonctions antérieures. Dans le cas de Duralex, l'aspect intégration est particulier car il s'agit d'une reprise entreprise, avec son passé, ses points de douleur. Il s'agit de respecter la courbe du deuil d'une entreprise meurtrie et de composer avec l'inconfort inhérent au changement.
Diriger la stratégie commerciale d'une Scop est un projet très incarné
Je note que, dans ces situations, et malgré le rythme de travail effréné, il est nécessaire de prendre beaucoup de recul, notamment par rapport aux réactions et à l'attitude des collaborateurs face au changement. Il faut leur laisser le temps de s'installer dans ce nouveau cadre, en prenant en considération les attentes des salariés d'une entreprise qui a connu six dépôts de bilan depuis 1997. Être dans l'empathie, faire preuve de bienveillance mais aussi apporter du sens au travail constitue le socle de mon management. J'essaye d'expliquer et de communiquer le plus possible. Garder cette approche en toutes circonstances me semble essentiel.
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Je crois par ailleurs en la vélocité de notre transformation. Auparavant, la logique était d'adapter un marché à l'entreprise, avec un chiffre d'affaires qui plafonnait à 30 millions d'euros. Aujourd'hui, la volonté est inversée : Duralex doit s'adapter au marché.
Comptez-vous revoir l'offre de Duralex ?
L'offre de produits actuelle est en partie suffisante pour atteindre notre objectif de dépasser 40 millions de CA. L'outil industriel de production n'est pas souple : à chaque nouveau modèle, il faut investir dans de nouveaux équipements, des moules, etc. Cependant, sans parler de révolution produit, nous pouvons faire évoluer la gamme à raison de trois lancements par an, sur de l'accessoire, des couleurs ou autres productions de série.
À l'occasion des 80 ans de la marque, en 2025, nous allons faire travailler des designers sur la gamme 2026. L'ambition est de rajeunir la marque tout en jouant sur notre côté « vintage » qui plaît beaucoup. Le marché français fait preuve de beaucoup d'affect vis-à-vis de l'enseigne et de ses verres de cantine, même si elle peut paraître un peu veillotte. Nous proposerons également des produits destinés aux Millenials inspirés de la tendance scandinave, avec des couleurs franches.
Quelles sont vos ambitions en matière de développement digital ?
Actuellement, nos ventes en ligne représentent environ 2 % du CA total, et sont quasi exclusivement le fait de ventes en France. Nous souhaitons dans un premier temps porter ces ventes à deux millions, et nous visons une progression de 30 % du e-commerce réalisé via les sites de nos distributeurs dans le monde. Pour cela, nous réfléchissons à la définition de nos persona pour proposer un contenu adéquat. Dès mes premiers voyages à l'étranger, j'ai commencé à recueillir des verbatim clients.
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Par ailleurs, nous travaillons sur la refonte de notre site actuel, et notamment un travail sur le trafic, le parcours client et le taux de transformation, avec l'objectif d'un lancement en avril 2025. Un challenge ambitieux puisque nous repartons de zéro ou presque en termes de marketing digital (stratégie trafic, les campagnes digitales, les analyses SEO, etc.)
Être directeur commercial au sein d'une Scop est-il singulier ?
Diriger la stratégie commerciale d'une Scop est, en tout cas en ce qui me concerne, un projet très incarné, et m'a demandé beaucoup de conviction et de courage. Ce challenge, loin d'être gagné, me fait porter une importante responsabilité, bien plus que pour mes précédents postes de directeur commercial, où les contextes étaient plus classiques, ou du moins très différents.
Ma mission actuelle dépasse la « simple » fonction de directeur commercial et marketing, puisque j'ai porté le projet de reprise et l'ai plaidé au tribunal aux côtés de François Marciano, le directeur de site, devant des juges. Ces derniers m'ont fait savoir que leur décision m'oblige, au-delà de mon rôle de directeur stratégie et développement. Je suis attendu positivement, mais fermement. Je suis impliqué dans l'écriture de la stratégie tout autant que dans son exécution. Je fais ce que je dis, et je dis ce que je fais : c'est un impératif pour réussir. La stratégie, c'est surtout ce que l'on fait.
Par ailleurs, mes fonctions chez Duralex me demandent encore plus d'implication et d'énergie que celles que j'occupais au sein d'autres structures. La marge de manoeuvre en matière de gestion de l'entreprise - fonds propres, trésorerie, investissements de production, etc - est assez restreinte. Aussi, le succès reposera avant tout sur la stratégie commerciale et marketing et son exécution.
Enfin, ce poste revêt aussi une dimension personnelle forte. Relancer une marque emblématique est selon moi l'une des plus belles missions pour un directeur commercial, d'autant plus que mon père était lui-même directeur d'une usine de verre Saint-Gobain lorsque j'étais adolescent.
Du flacon de parfum au verre Gigogne, l'histoire d'une marque qui se réinvente
Créée en 1927 par le vinaigrier Dessaux, la verrerie est vendue au parfumier Coty en 1930, pour la fabrication de flacons de parfum. Rachetée par Saint-Gobain en 1934, l'entreprise est à l'origine du verre trempé, qui sert à concevoir des articles variés (éclairages et vitres automobiles, hublots de machine à laver...) En 1945 nait la marque Duralex, et, quelques années plus tard, ses deux modèles phares que sont le verre Gigogne et le verre Picardie.