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"Le digital brise les silos entre les services marketing et commercial"

Publié par Véronique Meot le | Mis à jour le
'Le digital brise les silos entre les services marketing et commercial'

Les Dirigeants commerciaux de France (DCF) ont créé, en 2018 avec emlyon business school, une chaire sur la transformation de la fonction commerciale à l'ère du numérique : «DCF Lab». Laure Guigard, doctorante en charge du projet, nous explique les évolutions de la profession.

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Comment la chaire est-elle organisée ?

La chaire est dirigée par Jean-Philippe Timsit, professeur de stratégie digitale à l'Emlyon business school, qui m'a recrutée pour répondre à la problématique posée par les DCF : la transformation digitale de la fonction commerciale. Les partenaires* financent et fournissent un "terrain" à explorer, un réseau de contacts. En contrepartie, l'école produit des travaux de recherche. L'objectif est de mener une réflexion sur l'évolution du métier de commercial et sur une pratique qui se complexifie dans un monde globalisé. Le quotidien d'une chaire est guidé par la recherche, ce qui induit beaucoup de lectures et d'analyses.

Quel est votre rôle ?

Je suis doctorante en sciences de gestion à l'Université Lyon 3 et je prépare une thèse sur l'impact du digital sur la fonction commerciale - notamment la connaissance du commercial, un facteur de performance déterminant - sous la direction de Régine Vanheems, spécialiste de la digitalisation des ventes. Ces deux travaux s'alimentent l'un l'autre.

Quel diagnostic livrez-vous aujourd'hui sur la fonction commerciale ?

J'ai mené une première étude exploratoire qualitative, en interviewant 21 personnes occupant des fonctions de manager commercial au top et middle management, ainsi que des experts (consultant, formateur, spécialiste du recrutement). L'idée est de voir comment la fonction commerciale est perçue dans les entreprises, ainsi que l'impact du digital. Je vais écrire un article scientifique sur le sujet. Il semble que les silos existent toujours, mais sous l'influence du digital, les départements commerciaux et marketing collaborent davantage, via le social selling et le lead management notamment. Les clivages ont d'ailleurs tendance à disparaître car ils n'ont guère de sens pour les jeunes diplômés qui ont été formés aux deux disciplines.

Quelles sont les compétences les plus recherchées chez les commerciaux ?

La montée de l'expertise représente une tendance de fond. Face au changement de comportement du client, qui se renseigne avant son achat (en B to C comme en B to B), le commercial doit développer des connaissances afin de le conseiller et de lui vendre le bon produit. Car la référence qui répond aux besoins du client n'est pas obligatoirement celle qu'il a sélectionnée lors de son repérage sur Internet. Le vendeur doit donc faire preuve de tact et de technicité afin de réorienter ce choix.

Comment y arriver ?

Dans les entreprises, les commerciaux sont de plus en plus fréquemment invités à rencontrer la R&D afin de comprendre comment le produit est conçu et fabriqué. Nous sommes à l'ère de la co-construction, le client cherche à s'impliquer dans la conception de son offre. Ce qui implique des aptitudes au dialogue et à l'échange de la part du commercial.

Est-ce tout ?

En plus de l'expertise, le commercial doit développer d'autres compétences académiques, ou "hard skills", comme la gestion de projet. Il devient chef d'orchestre, chef de projet : il anime une équipe en interne - avec ses collègues commerciaux mais également avec ceux des départements marketing, R&D et production. La vente dite "adaptative" suppose que le vendeur s'adapte à chaque situation. D'où la recherche désormais d'aptitudes plus personnelles. Des "soft skills" comme l'intelligence relationnelle (capacité à entrer en relation et à maintenir le lien), l'intelligence émotionnelle (aptitude à comprendre les émotions de l'autre, à les interpréter, à les gérer et à gérer ses propres émotions) et l'intelligence collective (capacité à travailler en collaboration, à partager ses informations, à mutualiser ses moyens, etc.)

Comment redéfinir le rôle du commercial ?

Cette étude révèle la fin du loup solitaire. Avec les nouvelles techniques comme le social selling, les forces de vente ne chassent plus, elles pêchent ! L'enjeu est de produire un contenu suffisamment intéressant pour attirer la cible et qu'elle morde à l'hameçon. Les DCF étant très préoccupé par l'avenir de la fonction, j'ai proposé de remonter son histoire et de créer un document de recherche en forme de rétrospective. Il apparaît que la vente est ancrée dans l'histoire humaine, depuis la nuit des temps. Elle a su traverser les époques. Ce coup de projecteur historique montre qu'elle s'est toujours adaptée. La première révolution industrielle, avec l'invention du chemin de fer, par exemple, a bouleversé ses pratiques.

Quand est née la fonction commerciale ?

La fonction commerciale en tant que telle est née à Pont-à-Mousson en 1877, avec la création d'un service commercial par un entrepreneur du secteur sidérurgique, afin de prospecter le marché au niveau international. Une initiative copiée par Saint-Gobain puis par les entreprises du secteur automobile. Elle est alors rattachée à la production. Mais, après la crise de 1929, elle se hisse à un niveau supérieur, gagne ses lettres de noblesse et rapporte à la direction générale. Lorsque le marketing est apparu pour étudier les débouchés et identifier une cible avant de produire, la fonction commerciale a craint d'être supplantée. Mais il s'agit bien d'une science qui vient en appui. Tout comme aujourd'hui l'IA qui ne va pas remplacer les commerciaux mais les augmenter ! L'IA va les libérer de tâches à faible valeur ajoutée et les aider à détecter les opportunités d'affaires.

Vous avez réalisé des cartographies des métiers de la fonction. Que nous apprennent-elles ?

J'ai travaillé sur les bases de données des référentiels métiers de Pôle emploi (Rome) et de l'Apec. En 2003, l'Apec référence 15 métiers, en 2017, 52. La progression est conséquente car aujourd'hui les commerciaux se spécialisent par secteur d'activité (immobilier, high-tech, etc). En revanche, alors qu'en se digitalisant le marketing a créé de nouveaux métiers (trafic manager, web marketer, etc.), ce n'est guère le cas de la fonction commerciale, hormis le social selling et les télévendeurs devenus "chateurs". Sa digitalisation est moins visible car elle passe par l'utilisation de nouveaux outils dans le processus de vente.

Quels sont vos prochains sujets de recherche ?

Je vais poursuivre l'analyse de l'étude exploratoire et produire un deuxième article scientifique sur la question de la formation continue des commerciaux. Sous deux angles : les écoles de vente créées par les entreprises et comment les commerciaux acquièrent de nouvelles compétences par eux-mêmes, quelles stratégies ils mettent en place pour s'adapter. Le phénomène des écoles de vente interne se développe mais ne répond pas toujours aux besoins réels des forces de vente. Je prépare ces sujets pour ma thèse. Ils viendront alimenter la chaire.

*La chaire a été lancée avec cinq mécènes : Akor Consulting, CCLD, Intermarché, La Poste Solutions Business et Malakoff-Humanis.

 
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