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DossierNégociation commerciale : adoptez la bonne stratégie

En tant que commercial, la négociation est au coeur de votre métier. Mais êtes-vous sûr de faire les bons choix lorsque vous vous lancez dans cet exercice délicat ? Le point sur les stratégies et attitudes à adopter (et à éviter !) pour négocier efficacement.

Publié par Bénédicte Gouttebroze le
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Négociation commerciale : adoptez la bonne stratégie

1 [État des lieux] Les professionnels mal à l'aise en négociation

Demander une augmentation de salaire ou conclure un contrat vous stresse ? Vous n'êtes pas le seul ! En effet, une étude(1) de LinkedIn montre que plus d'un tiers des professionnels se sentent mal à l'aise lors d'une négociation.

2 Les Français angoissés par les négociations

Des professionnels de huit pays ont été sondés. Il s'avère que les Français font partie des plus angoissés par les négociations, arrivant en deuxième position derrière les États-Unis. En effet, 37 % des professionnels français se sentent angoissés ou ont peur à l'idée de négocier (contre 35 % au global). A contrario, l'étude montre que 23 % des professionnels français sont confiants (contre 34 % pour la moyenne), 9 % sont ravis (contre 10 % au global) et seulement 3 % sont indifférents à ce sujet (contre 10 %).

La comparaison par pays permet également de conclure que les Allemands tirent le mieux leur épingle du jeu. Ils apparaissent en effet comme les plus optimistes en matière de négociation. Ainsi, ils arrivent à la première place du classement des professionnels qui sont ravis à l'idée de négocier (21 % d'entre eux) et à la deuxième place de ceux qui se sentent confiants (43 % d'entre eux). À noter par ailleurs que l'Inde est le pays le plus confiant lorsqu'il s'agit de négocier : 47 % des professionnels interrogés se sentent sûrs d'eux lors de négociations.

L'étude révèle également que les hommes et les femmes ne sont pas égaux face à leur appréhension de la négociation. Alors que ces dernières sont 26 % à se sentir en confiance (alors qu'elles seraient aussi performantes que leurs homologues masculins selon une étude de Négocia) , les hommes sont 37 %.

3 La négociation, une partie de poker

Par ailleurs, il ressort une corrélation directe entre le fait d'être un utilisateur fréquent de LinkedIn et le fait d'être à l'aise lors d'une négociation. 48 % des professionnels qui se rendent quotidiennement sur LinkedIn se sentent confiants lors d'une négociation. Un tiers seulement de ceux qui se rendent sur le site moins de cinq fois par mois ont le même sentiment de confiance. Sans doute un professionnel aborde-t-il d'autant mieux sa négociation qu'il a recueilli d'informations sur son interlocuteur – sur les réseaux sociaux et autres sources – afin de mieux anticiper l'entretien à venir.

Enfin, lorsqu'il leur a été demandé de comparer une négociation à d'autres situations, 22 % des personnes interrogées ont répondu qu'une négociation ressemble à une partie de poker, où les joueurs sont obligés de prendre des décisions sur la base d'informations incomplètes. En revanche, en France, c’est la métaphore de la danse qui est revenue le plus souvent avec 34 % des réponses. Plus précisément, un moment où les deux partenaires passent par toute une série d’étapes et de mouvement, à l’image d’une danse chorégraphiée.

Sur l'ensemble des réponses, 18 % comparent la négociation à un match de tennis, où les deux joueurs s’affrontent dans un jeu organisé sur un pied d’égalité, et dont un ressort gagnant. Enfin, 9 % y voient une corrida où les deux participants, inégaux en force et en styles, combattent jusqu’à ce que l’un des deux écrase l’autre.

(1) Méthodologie : enquête publiée en avril 2012 par LinkedIn, réseau professionnel de plus de 150 millions de membres dans le monde, qui a interrogé plus de 2 000 professionnels de différents pays.

La négociation fait partie du quotidien des commerciaux, et pourtant… Une étude menée par LinkedIn démontre que plus d'un tiers des professionnels français sont mal à l'aise en négociation. Comment expliquer cette appréhension ?

4 [Étude] Les comportements des commerciaux face aux acheteurs

Quelle attitude les commerciaux adoptent-ils en négociation commerciale ? Et quelles sont les similitudes et les différences entre leurs comportements et ceux des acheteurs, en face d'eux ? Voilà deux des questions auxquelles tente de répondre le cabinet de conseil Homme et négociation (groupe Arcante), spécialisé dans l'évolution des comportements des négociateurs en entreprise, à travers son étude “Stratégies et techniques relationnelles en situation de négociation”(1).

5 Un rapport de force plutôt équilibré

Premier enseignement de cette enquête : 39 % des commerciaux et 40 % des acheteurs se considèrent mutuellement comme des partenaires à convaincre. Ainsi, pour parvenir à un accord, 57 % des vendeurs et 59 % des acheteurs sont prêts à avancer vers leur interlocuteur à tout moment pour tenter de le convaincre de faire un pas vers eux.

De part et d'autre, ils se révèlent ainsi plutôt conciliants. « Les acheteurs ne sont pas aussi belliqueux que leur réputation le laisse entendre, explique Laurent Plantevin, président du groupe Arcante. Par ailleurs, le rapport de force n'est pas aussi déséquilibré que l'on pourrait le croire. Contrairement à une idée reçue, l'acheteur a autant besoin de son fournisseur que l'inverse… »

Source : Homme et négociation.

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7 Coopération vs confrontation

Toutefois, s'ils s'emploient tous deux à convaincre l'autre, l'étude montre aussi qu'ils ne le font pas dans le même but. Ainsi, lorsqu'une proposition nouvelle est avancée par l'un des deux négociateurs, les commerciaux ont plutôt tendance à reprendre les idées inédites des acheteurs et à adapter leurs positions pour trouver un compromis.

Les acheteurs, eux, ont plutôt tendance à écouter… pour pouvoir ensuite mieux convaincre les commerciaux de s'aligner sur leurs positions ! Une question de culture, analyse Laurent Plantevin. « Les commerciaux sont davantage portés sur la coopération et les acheteurs, sur la confrontation, rappelle-t-il. Ce qui se traduit, à la table des négociations, par une plus grande plasticité des premiers et une rigidité plus affirmée des seconds, et non une agressivité, puisqu'ils sont bel et bien ouverts au dialogue… »

Ainsi, pour parvenir à leurs fins, les commerciaux se montreraient moins enclins à l'affrontement. En effet, seuls 34 % d'entre eux, contre 46 % des acheteurs, considèrent l'autre comme un partenaire qu'il ne faut pas craindre d'affronter. D'ailleurs, 81 % des commerciaux conseilleraient à un jeune collègue, pour défendre ses intérêts, de se montrer amical et ouvert vis-à-vis de l'acheteur ou de veiller à ne pas le froisser ou le choquer, contre seulement 50 % des acheteurs. Ces derniers, à 37 %, conseilleraient même plutôt de se montrer insensibles aux intérêts des commerciaux.

Et certains seraient même prêts à aller plus loin… Selon l'étude, 33 % des acheteurs (contre seulement 22 % des commerciaux) n'hésiteraient pas à adopter une position menaçante pour entamer la négociation en position favorable. 15 % d'entre eux estiment même qu'aller à l'épreuve de force permet d'obtenir de l'autre qu'il se range à ses intérêts. Une épreuve de force que les commerciaux redoutent absolument ! Ils ne sont, en effet, que 3 % à partager cet avis...

« Or, la négociation a besoin de tension, souligne Laurent Plantevin. Le problème est que les commerciaux vont tout faire pour ne pas la créer. Ce n'est pas la bonne façon d'entamer une négociation… » Pour preuve, 46 % des commerciaux s'emploient à ne pas se focaliser sur un point précis et à trouver une solution d'ensemble acceptable, ou à alterner les sujets pour éviter une tension trop forte. En revanche, 47 % des acheteurs ne changent pas de thème tant qu'ils n'ont pas eu satisfaction ou rompu la négociation.

Source : Homme et négociation.

8 Quels sujets aborder ?

56 % des commerciaux pensent que tous les points doivent être abordés, mais qu'il faut être prêt à en abandonner certains dans les discussions pour éviter un conflit.

« À quoi bon aborder tous les sujets tout en sachant que l'on cédera déjà sur certains ? interroge Laurent Plantevin. C'est une erreur stratégique ! Le commercial doit aborder seulement ceux sur lesquels il n'a pas l'intention de céder ou sur lesquels un accord pourra être trouvé de façon réaliste. Car, s'il cède à tous les coups, l'acheteur finira par en prendre l'habitude et ne verra plus l'utilité de faire un pas vers le commercial, puisqu'il sera certain, quoi qu'il arrive, de se voir soumettre une meilleure proposition. »

Une erreur, pourtant, que les vendeurs ont tendance à répéter à la fin de la négociation. En effet, lorsqu'un accord final se révèle impossible, les commerciaux sont 57 % à proposer une alternative aux acheteurs, qui sont, quant à eux, 45 % à arrêter la discussion et attendre que les vendeurs reviennent vers eux avec une offre satisfaisante.

De quoi conforter les acheteurs dans leur comportement, puisqu'ils savent que le rapport de force tournera en leur faveur. « Si l'acheteur sait qu'il se verra proposer une alternative quoi qu'il arrive, il aura tendance à retarder la signature », avertit Laurent Plantevin.

Pas étonnant ensuite, selon l'expert, que les commerciaux se plaignent que les négociations soient de plus en plus ardues : « Ce sont les commerciaux qui génèrent l'attentisme des acheteurs à force d'adopter des comportements inadéquats ou d'aborder des sujets qu'ils ne devraient pas évoquer. » Il est désormais temps pour vos commerciaux de changer la donne…

Source : Homme et négociation.

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(1) Étude menée par le cabinet Homme et négociation auprès de 250 commerciaux et 250 acheteurs entre septembre 2011 et avril 2012.

[Insolite] Quand l'illusionnisme s'invite dans la négo…
Et si un bon négociateur était aussi un illusionniste ? C'est le point de vue que défend Matthieu Sinclair, illusionniste et formateur à HEC : « L'illusionniste n'est pas celui qui joue sur la manipulation, mais qui décode, à travers l'analyse de la communication non verbale – posture, intonations... –, les intérêts cachés de la partie adverse, pour mieux faire fonctionner la relation. »

Une méthode qui s'appuie sur les mécanismes de la psychologie appliquée. « Car, pour faire fonctionner une négociation, il faut donner envie à l'autre de coopérer. Tout repose sur l'humain, sur la qualité de la relation établie », complète l'expert.

Jacques H. Paget, spécialiste de l'illusionnisme et auteur du livre “Le pouvoir de l'illusion”, paru chez Plon, renchérit : « Pour remporter une négociation, il est primordial d'user de certaines astuces comportementales, comme la maîtrise du silence, le maintien d'une posture et d'une tête bien droites pour limiter les soupçons et l'esprit critique chez l'autre, celui-ci devenant alors plus docile. Cela évite de le manipuler puisqu'il se manipule, in fine, lui-même. » CQFD !

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Pour aller plus loin…
[Tribune] Depuis 30 ans, le monde a beaucoup changé, mais les méthodes de négociation commerciales ont-elles été pour autant bouleversées ? Le point de vue de Philippe Korda, associé fondateur de Korda & Partners, cabinet de conseil en management et formation.

Lorsque vous négociez avec un acheteur, vous cherchez à éviter les conflits et à toujours proposer des alternatives… Et si vous faisiez fausse route ? Le cabinet Homme et négociation a analysé les comportements des vendeurs et acheteurs en négociation. Décryptage des (mauvaises) attitudes…

12 [Interview] Laurent Plantevin : « Les commerciaux confondent trop souvent vendre et négocier »

Vous venez de réaliser une étude sur les attitudes et les techniques relationnelles des commerciaux et acheteurs au cours d’une négociation commerciale(1). Quelles leçons peut-on en tirer ?
Un bon négociateur n’est pas forcément le meilleur vendeur d'une équipe. En effet, on confond trop souvent “vendre’’ et “négocier’’. Le bon vendeur cherche à convaincre son interlocuteur. Le bon négociateur, lui, cherche à créer une tension propice à la négociation.

Il faut comprendre par '“tension” non pas un malaise, mais une zone de désaccord où chacun aura ses propres intérêts à défendre. Ainsi, un commercial dont l’objectif prioritaire est de convaincre à tout prix son client arrive affaibli à la table des négociations. En effet, ce n’est pas parce qu’il atteindra ce but qu’il sortira vainqueur de la négociation.

Car, en pratique, l’acheteur pourra très bien comprendre la nécessité pour le commercial d’augmenter son prix (par exemple, dans un contexte de hausse du prix des matières premières) sans pour autant être prêt à lui acheter son produit plus cher. Cette distorsion, bien réelle, les commerciaux ont pourtant du mal à la prendre en compte.

Comment alors bien aborder une négociation avec un acheteur ?
Les commerciaux doivent arrêter de confondre la table des négociations avec une salle où l’on peut résoudre les problèmes en commun. Pour ainsi dire, ils ont une vision un peu tendre, pacifique, voire angélique, de la table des négociations… Ce qui les empêche de défendre suffisamment leurs intérêts.

Ainsi, rien ne sert d’essayer de convaincre un acheteur d’accepter des tarifs plus chers. Le commercial doit arriver autour de la table en expliquant qu’il ne renoncera pas à ses prix, mais qu’il est prêt à trouver un terrain d’entente. Si le rôle du vendeur est d'arriver à “faire dire oui” à l'autre (le convaincre, le séduire, le persuader pour éviter le désaccord), le rôle du négociateur est de lui dire “non… mais je peux en discuter” (savoir créer le désaccord pour bâtir un accord). C'est seulement à partir de là que peut s’enclencher la vraie discussion.

Pour y parvenir, quel autre conseil de réussite donneriez-vous aux commerciaux ?
Abandonner la sacro-sainte notion de “gagnant-gagnant’’. Les commerciaux ont tendance à vouloir trouver une solution mutuelle, à favoriser la coopération, à rechercher la transparence. L’acheteur, lui, ne cherche pas à coopérer mais à défendre en priorité les intérêts de son entreprise.

Il existe à ce titre un vrai fossé culturel entre les deux professions, et même un écart de compétences liées à la négociation. C’est sans doute en partie lié à la professionnalisation des achats qui s’observe depuis quelques années. Par ailleurs, le meilleur conseil aux directeurs commerciaux serait d'intégrer à leurs équipes des négociateurs purs. Car globalement, la relation doit se professionnaliser

(1) Étude “Stratégies et techniques relationnelles en situation de négociation” menée par le cabinet Homme et négociation auprès de 250 commerciaux et 250 acheteurs, entre septembre 2011 et avril 2012.

Pour aller plus loin…
Faut-il avoir recours à l'humour dans le cadre d'une négociation ? L'analyse de Lionel Bobot, professeur permanent en négociation à Novancia (CCIP) et chercheur associé à l’INRA.

Dans une négociation, un commercial va souvent chercher à convaincre son client. Or, pour Laurent Plantevin, président du groupe Arcante, spécialisé dans le conseil et la formation à la négociation, cette stratégie n'est pas la bonne. Selon lui, créer des zones de désaccord est source de réussite.

13 [Tribune] Une négociation décryptée

William Ury, du Program on negotiation de la Harvard Law School, célèbre coauteur, avec Robert Fisher, d'un ouvrage sur l'approche gagnant-gagnant, met en évidence toute une série de difficultés fréquentes en négociation(1). Les plus flagrantes sont souvent créées par nos propres comportements, ceux de notre interlocuteur ou les nôtres.

Elles tiennent en cinq mots : positions, domination, réactions, émotions et frustrations.

Témoin d'une scène, dans un train, entre un contrôleur et un voyageur qui ne peut justifier son tarif réduit, je ne peux m'empêcher de penser que les deux acteurs illustrent parfaitement l'ensemble du processus de la négociation. L'exemple vaut la peine d'être relaté et analysé.

Dans cet exemple, les deux protagonistes passent par les cinq stades évoqués plus haut, avant d'aboutir à l'échec de l'un et au succès de l'autre. Non grâce à son pouvoir officiel, mais grâce à la façon dont il a géré ces cinq pièges.

14 1. Défendre sa position de départ

La position de départ est un premier piège énorme… mais si vite oublié. De toute évidence, le client savait qu'il ne pouvait pas justifier sa réduction. Il avait préparé son argumentaire.

Le contrôleur lui oppose avec douceur plusieurs options : a-t-il essayé de le prévenir au préalable, comme c'est la règle ? A-t-il bien cherché son justificatif dans ses bagages ? Pas de position de départ, on le voit, chez le négociateur chevronné.

En revanche, le négociateur affaibli campe très vite sur ses positions : il est dans son bon droit… alors que le droit lui donne tort. Parlons de droit moral, alors. Oui, mais même là, le contrôleur le prend en défaut, en utilisant ce que nous appelons, en vente, la référence client : « Demandez aux autres clients, eux qui ont fait le nécessaire ; Monsieur par exemple, ou Madame, qui a la même réduction que vous... Puis-je pénaliser leur effort ? Non. »

L'objectif de ce premier franchissement d'obstacle est donc de montrer que la position de départ ne tient pas. Pour cela, sans émotivité mais avec des faits et des critères objectifs, le contrôleur reconstruit le cadre de la négociation.

15 2. Dominer, ou être dominé ?

Le deuxième piège vient vite pour le client : « Je vais me plaindre, je sais qui appeler, etc. », faisant ainsi appel à un hypothétique pouvoir supérieur, hors de la table des négociations, comme toujours. Il est dans l'escalade irrationnelle.

La chausse-trappe est pourtant évidente : le contrôleur a pour lui un cadre légal strict, voire encombrant pour sa relation client. Il s'en sort très vite, avec subtilité d'ailleurs : il se repositionne dans ce cadre légal, mais en valorisant son rôle autant que la position de son client.

Quelques exemples de ses arguments avec leur analyse : « Comprenez-moi [appel à l'empathie], chacun ici sait comment bénéficier de cette réduction [références partagées], vous aussi [second appel]. Mon rôle ne consiste pas à vous sanctionner ou à vous mettre en difficulté [dédramatisation] ; je suis payé pour vérifier que tout est conforme [appel normatif] pour tous les passagers de ce train [références], pas pour vous ennuyer, etc. »

Le tout est fait avec amabilité mais fermeté, donc sans recherche de domination ou d'affirmation de son pouvoir formel. Mieux : j'apprends qu'il a, je le cite, « un ponte de la compagnie » qui lui a demandé, d'un signe de tête, s'il voulait son intervention, qu'il a déclinée très discrètement.

Le deuxième franchissement d'obstacle vise, par conséquent, à ne pas jouer le jeu du pouvoir, mais à établir la preuve que la demande est solidement fondée, et que la position du client doit bouger.

16 3. La machine à réaction humaine

Se sentant pris au piège, le client est alors dominé, mais par son instinct primaire de défense : sous la pression, le stress, le sentiment de danger, nos réactions deviennent fortement émotionnelles, et prennent le contrôle de notre cerveau.

Le client cesse alors de raisonner : « Mais c'est inadmissible [par qui ?], etc., les retards [quel rapport ?], etc., vous voyez bien que je suis de bonne foi [ah bon ?], ça ne va pas se passer comme ça [vieux classique éculé], etc. » En l'occurrence, j'assiste à un cas d'école : domination ratée + sensation de perte de pouvoir = escalade irrationnelle et réaction émotionnelle.

En face, le contrôleur garde le même ton doux, mais ferme. En revanche, il change de réaction lui aussi : plus d'argument (son client ne l'écoute plus), première rupture de la négociation (qu'il n'avait pas commencée, rappelle-t-il), et là, magnanime : « Je vous laisse un instant pour voir comment vous voulez procéder ; je ne veux pas vous mettre en difficulté, comprenez qu'il est de mon devoir d'agir, et que je me dois de m'occuper aussi des autres passagers, etc. »

Franchir le troisième obstacle consiste à ne pas entrer dans la spirale émotionnelle, mais en même temps à ne pas argumenter contre des émotions. Cerveau droit (siège des émotions) et cerveau gauche (siège de la raison) communiquent très mal dans ces cas-là.

17 4. Le poids des émotions négatives

On le voit, se laisser emporter par ses émotions revient surtout à laisser les plus négatives d'entre elles prendre les commandes. Le client glisse donc dans la colère, l'agressivité, ou bien dans l'affliction et le désespoir, selon les circonstances. En réaction, le contrôleur joue la carte de l'étonnement, du miroir et de la prise à témoin modérée.

Étonnement : il exprime en effet sa surprise de voir le client à ce point touché… par son propre défaut.

Miroir : il rappelle en quelques mots la genèse de son problème, et résume les conséquences néfastes de l'entêtement, mais aussi la facilité de leur échapper (une jolie question alternative de conclusion : « Comment voulez-vous faire: régler ceci, ou acquitter la pénalité ? »). Il le replace ainsi face à son comportement.

Témoins : il fait constater, mais pas de manière outrancière, qu'il ne peut décemment pas passer ainsi un quart d'heure avec chacun des 350 passagers du train, et que ses voisins de sièges paraissent quelque peu gênés de la situation.

Le quatrième franchissement se situe plutôt dans la dédramatisation et la responsabilisation : est-ce bien raisonnable ? D'où tout ceci est-il parti ? Voyez-vous que l'issue est finalement facile, et que nous éviterons donc les désagréments, vous et moi ? À défaut, on peut passer le relais à un tiers, collègue, supérieur hiérarchique, médiateur, avec lequel la relation émotionnelle, nécessairement cristallisée ici sur le contrôleur, aura moins de prise.

18 5. Passer ses frustrations

Finalement, pour le client, de plus en plus éloigné d'une possible victoire dans cette négociation compétitive, il ne resterait plus qu'à abandonner les attitudes émotionnelles et à s'avouer vaincu… s'il lui était demandé de le faire. Or, le contrôleur retourne à son point de départ : son rôle, sa volonté de remplir sa tâche de son mieux, et la discrétion dans l'acte douloureux pour le client qui consiste à conclure la négociation.

En l'occurrence, payer.

On se rend compte que, plus souvent qu'on ne le croit, tous les négociateurs ne cherchent pas correctement leur satisfaction, ou ne savent pas l'identifier. Ils s'y prennent d'une manière telle qu'ils construisent leur échec, comme dans ce cas précis. En plus de cela, ils peuvent aussi ne pas voir en quoi ils auraient pu échouer plus gravement, ou gagner moins, ou trop tard, etc., selon les contextes.

Cette impression réside dans la frustration d'avoir reculé, la peur de perdre la face, ou encore l'incapacité à clairement avoir mesuré ses objectifs et ses gains.

Un objectif pour franchir le cinquième obstacle : calmer le jeu, dégonfler la baudruche émotionnelle, passer à autre chose.

En définitive, nous préparons tous nos négociations, n'est-ce pas ? Et plus elles sont complexes, plus nous fourbissons nos armes. Pourtant, il est si facile d'oublier les nombreux pièges qui ne relèvent pas de l'argumentation ou d'autres points techniques.

Où se cachent ces pièges ? Dans nos attitudes et nos réactions. Nous sommes humains, après tout. Cela recèle autant de richesses que de sources de complexité.

(1) D'après Jon Elster, « L'usage stratégique de l'argumentation», Négociations, 2005/2 N° 4, p. 59-82.


Bio express

Pascal Brassier est enseignant-chercheur en management commercial et négociation depuis 2002. Titulaire de la chaire en développement commercial du groupe ESC Clermont, il est, par ailleurs, fondateur du Conseil scientifique des DCF. Il a publié en 2011 Management de la force de vente, avec Alfred Zeyl et Armand Dayan (Editions Pearson).

À travers l'analyse d'une scène de la vie quotidienne, Pascal Brassier, enseignant-chercheur en management commercial et négociation à l'ESC Clermont, met en évidence les cinq obstacles majeurs de la négociation et démontre les bonnes attitudes à adopter.

19 [Vidéo] Isabelle Baudet : « Dans une négociation commerciale, tous les coups ne sont pas permis »

Interview réalisée le 16 octobre 2009.

 
 

Au-delà des choix stratégiques, la négociation commerciale présente des risques juridiques. Isabelle Baudet, docteur en droit, professeur à l'ESC La Rochelle et auteur d'un ouvrage sur les négociations commerciales B to B, livre ses conseils pour éviter les pièges en négociation.

20 [Test] Comment réagir face à un négociateur agressif ?

Les négociations commerciales sont souvent tendues. Et certains acheteurs prennent un malin plaisir à jouer avec les nerfs de leurs interlocuteurs. Face à des négociateurs agressifs, savez-vous réagir positivement ? Faites le test pour le savoir.

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Face à un négociateur agressif, savez-vous adopter la bonne attitude ? Découvrez-le en réalisant ce test.

21 Pour aller plus loin : un peu de lecture pour apprendre à mieux négocier

22 Les clés de la négociation réussie

Par Jacques Lemonnier, consultant et directeur du cabinet Synthèse Action. Retrouvez ici la présentation complète de cet ouvrage.

23 Les techniques d'argumentation les plus sûres

  Par Lionel Bellenger, maître de conférences à HEC. Retrouvez ici la présentation complète de cet ouvrage.

24 Négociation commerciale

  Par Erick Leroux & Emmanuel Chouraqi. Retrouvez ici la présentation complète de cet ouvrage.

Retrouvez ici une sélection de livres pour approfondir votre réflexion sur la négociation commerciale.

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