Tribune | Entretien de vente : méfiez-vous de votre "Moi idéal"

En entretien commercial, le "pitch" est un incontournable. Savoir parler de son offre, de ses services, est un atout. Mais attention à ne pas laisser le "Moi idéal" envahir l'espace, et mettre trop de distance entre vendeur et acheteur.
Je m'abonneDans la vente, le pitch s'apparente à un miroir de l'âme. Pitcher, c'est l'essence de mon métier. J'ai même écrit un livre sur le sujet, J'ai un pitch qui claque, où je décortique la séduction, la PNL et l'analyse transactionnelle pour concevoir des présentations percutantes et connecter avec son auditoire.
Pourtant, lorsque je me suis plongé dans l'écriture de lettres de motivation pour décrocher un poste, j'ai réalisé que cet exercice, que je pensais maîtriser, était bien plus complexe qu'il n'y paraît. Pitcher, c'est argumenter une offre, des compétences, une fonction... mais aussi donner envie d'en savoir plus. Exactement comme une lettre de motivation, où il n'est pas tant question de savoir-faire que de savoir-être. Cette expérience a bouleversé ma vision de la vente, et impacte considérablement ma recherche d'emploi.
Le piège du Moi idéal
Dès mes premières lettres de motivation, j'ai adopté une approche classique : mettre en avant mes accomplissements, mes chiffres, mes compétences. L'objectif : séduire, persuader, convaincre, cocher toutes les cases. Mais les retours que je recevais, quand j'en recevais, étaient déconcertants : des refus polis, des réponses évasives, ou même un commentaire flatteur mais creux : « Votre profil est surdimensionné. » La recruteuse ne voulait probablement pas me blesser - et je l'en remercie.
Lire aussi : 3 étapes pour persuader grâce au storytelling
C'est là que j'ai compris que j'étais tombé dans un piège fréquent : je projetais une image de perfection, une sorte de Moi idéal, cette version idéalisée de soi-même que l'on veut montrer aux autres. Ce Moi idéal peut sembler rassurant pour la personne qui la projette, mais il crée une véritable distance car elle est en totale contradiction avec ce qui est perçu. Il est froid, mécanique, déconnecté de ce que l'on est réellement.
Prenez LinkedIn, par exemple. C'est un véritable théâtre du Moi idéal. On y expose nos réussites, nos parcours impeccables, mais rarement nos failles ou nos doutes. Et pourtant, cette quête de perfection peut devenir contre-productive. Elle éloigne les interlocuteurs plutôt que de les rapprocher, car elle manque de sincérité et d'authenticité.
Une boussole intérieure
En prenant du recul, j'ai découvert une autre manière d'aborder mes lettres de motivation, et par extension, mes interactions professionnelles. Plutôt que de chercher à impressionner, je me suis concentré sur ce qui m'animait vraiment. Pourquoi voulais-je rejoindre cette entreprise ? Quelles valeurs partagions-nous ? C'est en réfléchissant à ces questions que j'ai commencé à écrire des lettres alignées avec mon Idéal du Moi.
Contrairement au Moi idéal, l'Idéal du Moi n'est pas une façade. C'est une boussole intérieure, guidée par des valeurs profondes et authentiques. Il pousse à se dépasser, non pas pour plaire, mais pour être en accord avec soi-même. Dans mes lettres de motivation, cela s'est traduit par un changement radical. J'ai arrêté d'accumuler les références ou de répondre mécaniquement à une grille d'attentes supposées. J'ai commencé à raconter une histoire, à expliquer pourquoi cette mission résonnait en moi. Là où les règles classiques recommandent de parler de l'autre, j'ai appris à parler de ce que je voulais construire avec l'entreprise.
Connecter plutôt qu'impressionner
Cette transformation m'a également appris quelque chose de fondamental sur la vente : un bon pitch n'est pas seulement un discours parfaitement rodé, mais aussi un moment de connexion.
Pour la confidence, il m'est arrivé de pitcher en oubliant que j'avais bu un verre de whisky cul-sec, tellement pressé de monter sur scène (ne faites jamais ça !) Comme l'alcool est monté à la tête, je me suis connecté à ce qui comptait le plus et j'ai livré un pitch de 27 secondes. Il a généré 16 rendez-vous et 10 contrats en un mois.
Ce moment m'a enseigné une leçon essentielle : au-delà des techniques et de la théorie, ce qui touche véritablement les gens, que ce soit en vente ou en recherche d'emploi, c'est la sincérité. Ce jour-là, j'avais laissé tomber mon masque de perfection (mon Moi idéal) pour parler avec authenticité, aligné sur mes valeurs profondes (mon Idéal du Moi). De toutes façons, j'avais oublié tous mes "effets de manche" ! C'est cette authenticité, bien plus qu'une façade parfaite, qui crée des connexions véritables.
Le Moi idéal, bien qu'inspirant, peut devenir un piège. Il pousse à se concentrer sur l'apparence, à masquer ses échecs, et à refuser la critique. Dans un contexte entrepreneurial ou professionnel, cela peut conduire à une déconnexion avec ses interlocuteurs, voire avec soi-même. L'Idéal du Moi, en revanche, est un guide précieux. Il nous encourage à agir en accord avec nos valeurs, à construire des projets qui ont du sens. Mais attention : il ne s'agit pas non plus de se perdre dans un perfectionnisme oppressant. Trouver l'équilibre entre ambition et authenticité est essentiel.
Guillermo Di Bisotto est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Questions pour un champion de La vente, publié aux éditions Eyrolles.