Tribune | Manager sans rivalités, pour une équipe commerciale motivée
En vue de motiver son équipe de vente, le manager commercial peut être tenté de valoriser à l'excès les meilleurs éléments, favorisant ainsi, inconsciemment, de dangereux jeux psychologiques, qui viennent saper esprit d'équipe et performance. La vigilance est de mise !

Lors d'un échange avec le conférencier Minter Dial, celui-ci avançait ce chiffre : aux États-Unis, près d'un quart des commerciaux souffre de troubles anxieux ou de dépression, soit trois fois la moyenne nationale tous métiers confondus. Et le coupable désigné était... le manager !
Une mise au pilori demandant certainement plus de finesse d'analyse. Mais il est vrai que, souvent, la valorisation excessive des « meilleurs » au sein des équipes commerciales engendre des fractures internes et des tensions, favorisant des dynamiques dysfonctionnelles, comme les jeux psychologiques, qui sapent la motivation, l'esprit collectif et freinent la performance globale...
Comprendre les jeux psychologiques : les pièges à éviter
Un jeu psychologique, tel qu'il est décrit par le psychiatre canadien Éric Berne, repose sur une interaction toxique entre trois rôles récurrents (dont les acteurs peuvent varier) : la victime, le persécuteur et le sauveteur. Ces rôles peuvent s'enchaîner rapidement, créant un cercle vicieux au sein des équipes. Voici comment ils se manifestent dans un contexte commercial :
La victime : refuse de prendre ses responsabilités face à un échec. Par exemple, un commercial pourrait dire : « Si je n'arrive pas à signer, c'est à cause de la crise. » Elle appelle alors un persécuteur ou un sauveteur.
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Le persécuteur : réprimande et critique, souvent en pointant les failles des autres. Il confond rappel au cadre (recadrage) et réprimande. Il appelle à la barre une victime.
Le sauveteur : intervient à tout-va pour « réparer » la situation, sans que son intervention ne soit sollicitée. Incompétent mais de bonne volonté, il finit par surprotéger, rendre dépendant ou déresponsabiliser.
Ces jeux ne font qu'amplifier les tensions et freiner la coopération. Si un manager tombe dans l'un de ces rôles, cela fragilise davantage l'équilibre de l'équipe. D'autant qu'un jeu, ne se joue jamais seul. Il convient donc autant de les repérer que de sortir de ce type de dynamique à tout prix !
Repérer et désamorcer les jeux
La clé pour rétablir un esprit collectif sain est d'identifier ces dynamiques toxiques et d'adopter une posture qui les neutralise.
Face à la victime : responsabilisation
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Lorsqu'un collaborateur adopte une posture de victime (« C'est la crise / je ne peux rien y faire »), évitez de le réprimander ou de lui donner une solution toute faite. À la place, reformulez ses propos pour l'amener à réfléchir : « C'est la crise, pourtant JP a signé trois contrats la semaine dernière. Est-ce que tu penses qu'il a eu de la chance ou qu'il a abordé les prospects différemment ? Serais-tu intéressé à collaborer avec lui pour comprendre et répliquer ses best practices ? ». Cette approche incite à analyser son propre rôle dans la situation et à orienter son mindset sur les solutions plutôt que sur les problèmes.
Face au persécuteur : rappeler au cadre [recadrer] sans réprimander
Si un membre de l'équipe critique un collègue ou adopte une attitude accusatrice, recadrez la discussion sur des faits concrets plutôt que sur des jugements. Si vous êtes le persécuteur, interrogez-vous sur "la" faille qui vous fait sortir de vos gonds ? L'objectif est de transformer une critique en une opportunité d'apprentissage. Quelles sont les transgressions que vous avez permises pour qu'une personne en face de vous se permette d'agir ainsi ? Rappelez-vous que vous faites partie du cadre que vous avez posé et qu'un jeu psychologique se joue minimum à deux. Il est donc probable que vous jouiez vous aussi. Vous me répondrez probablement : « Mais c'est quoi ce cadre ? ». J'y viens !
Face au sauveteur : encourager l'autonomie
Lorsque vous vous surprenez à vouloir « sauver » un collaborateur en difficulté, rappelez-vous que l'aider trop souvent peut nuire à son autonomie. Posez des questions ouvertes qui l'aident à trouver lui-même des solutions. Maintenant, si vous voyez un sauveteur agir sans qu'on le lui demande, là encore, rappelez au cadre.
Et gardez en tête qu'il est fallacieux de penser que seul le persécuteur entretient une relation toxique, voire délétère. La victime qui se plaint de tout et tout le temps et le sauveteur qui organise la dépendance aussi...
Le cadre : un pilier de sécurité émotionnelle
Pour éviter les jeux psychologiques, il est essentiel d'instaurer un cadre clair et solide. Le cadre est une sorte de contrat moral, au-dessus des êtres humains et au-dessus des institutions, dont la fonction utile est de mettre en sécurité émotionnelle les personnes qui sont concernées par celui-ci. Il définit une fonction, un périmètre d'action, une temporalité et des échanges de transactions au sens de l'analyse transactionnelle. S'il est intangible, il n'est toutefois pas figé. Il peut être réévalué et ajusté en fonction des expériences, des contextes et des besoins de chacun ou de l'équipe. Lorsqu'une transgression du cadre survient, se développe alors un jeu psychologique. Il n'y a jamais de dynamique victime-bourreau-sauveur sans transgression du cadre et il est alors crucial d'y revenir - littéralement de rappeler au cadre de manière analytique - pour rétablir l'équilibre.
Attention toutefois, comme le souligne Amandine Maillot, psychologue clinicienne : « La consigne n'est pas le cadre mais peut en faire partie ». En d'autres termes, vous pouvez malheureusement avoir des consignes très claires dans un cadre toxique et délétère. Un cadre, ce n'est pas seulement des objectifs à atteindre, mais aussi des moyens mis en face pour les atteindre. Si je devais vous trouver un exemple pour vous aider à faire la différence entre cadre et consigne, je vous dirais que l'éthique n'est pas une consigne, mais un cadre.
Retrouver un sentiment collectif dans une équipe commerciale ne passe ni par des primes élevées ni par des réprimandes agressives. Cela repose sur trois piliers essentiels :
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1. Repérer les jeux psychologiques et sortir des dynamiques qui freinent votre progression
2. Instaurer un cadre clair et ajustable pour garantir une sécurité émotionnelle
3. Donner un sens plus profond au travail individuel et collectif.
En tant que directeur commercial ou team manager, votre rôle est de montrer l'exemple en adoptant ces pratiques. En libérant votre équipe des tensions inutiles et en orientant sa dynamique vers une contribution significative, vous construirez un collectif engagé, heureux et prêt à atteindre des performances exceptionnelles. Et là, votre management « data-driven » aura non seulement du sens... mais aussi de bien meilleurs résultats !
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