Recherche
Magazine Action Commerciale
S'abonner à la newsletter S'abonner au magazine

Des forces spéciales à la grande distribution : les conseils d'un négociateur professionnel

Publié par Aude David le - mis à jour à
Des forces spéciales à la grande distribution : les conseils d'un négociateur professionnel
© Emmanuelle Braun

A la tête d'un cabinet de négociateurs, Marwan Mery est revenu sur certaines expériences marquantes et sur les enseignements qu'il a pu en tirer. Lesquels peuvent s'avérer utiles dans de nombreuses situations pour les commerciaux, souvent confrontés à des situations de négociation sans y être vraiment formés.

Je m'abonne
  • Imprimer

Passé par les forces spéciales où il était officier spécialisé en influence, Marwan Mery intervient dans les situations de crise, des conflits sociaux aux demandes de rançon, auprès de l'ONU comme d'entreprises privées. Désormais dirigeant d'ADN, L'Agence des négociateurs, cabinet de négociateurs et de formation en négociation, il est revenu lors d'une conférence sur quelques expériences marquantes, de sociétés cotées à l'Afghanistan.


« La négociation nait du conflit. Mais le conflit, c'est bien : c'est l'expression d'un désaccord », rappelle-t-il en introduction. Cependant, outre le fait qu'un négociateur évolue dans un environnement complexe et ne maîtrise jamais tous les éléments de la négociation, le rapport de force est défavorable, la personne en face a une faible volonté de coopérer, et le négociateur a un « mandat limitant », c'est-à-dire qu'il n'a pas la possibilité de donner ce que demande la personne.

« On ne s'improvise pas négociateur »

De ce fait, il assure que, contrairement à une idée reçue, la négociation ce n'est pas essentiellement des soft skills. Bien sûr, il faut être empathique, à l'écoute, bienveillant... « Mais c'est la base de toute relation interpersonnelle. La bienveillance ne peut pas retourner une situation, l'empathie ne peut pas minorer une demande. Non, insiste-t-il, on ne s'improvise pas négociateur ».

Il reconnait d'ailleurs que l'une de ses missions les plus marquantes, une tentative d'extorsion d'une entreprise (100 millions de dollars demandés pour ne pas révéler les délits des deux anciens dirigeants, somme qu'il a fait ramener à 1,5 million) n'aurait pas été réalisable à ses débuts, 25 ans plus tôt. La raison ? Il n'avait pas les compétences nécessaires.


Selon lui, la négociation, c'est environ 7% de soft skills (« empathie, gestion du stress, maîtrise émotionnelle, intuition, appétence au conflit »), 3% d'aptitudes complémentaires selon le métier, 20% d'apprentissage issu de l'expérience (et non l'expérience seule). Les hard skills comptent pour 70%. Selon l'expert, ce sont celles qui donnent « la capacité à agir sur l'individu : la capacité à minorer une demande, à retourner un rapport de force défavorable, à induire le changement chez quelqu'un, à gérer des profils complexes, à neutraliser une menace, à arrêter un ultimatum, à façonner la perception de quelqu'un... ». Une expertise d'autant plus essentielle que les personnes en face, que ce soit les preneurs d'otage ou les acheteurs en grande distribution, n'ont pas besoin d'être bons en négociation, "car ils ont un pouvoir de nuisance », souligne-t-il.

Comprendre les croyances

Si la négociation à haut niveau demande une formation sérieuse, il est possible de travailler certains points pour la négociation courante, encore plus indispensable pour les commerciaux. Tout d'abord, l'aspect psychologique est primordial. L'expert conseille de travailler la psychologie sociale, cognitive et comportementale. « Dans la phase de contact, le premier travail, c'est de comprendre le profil », souligne-t-il. Selon lui, quelques heures suffisent pour étudier les profils possibles. Il ne s'agit pas de l'identifier à coup sûr mais de voir les caractéristiques saillantes, pour avoir des clés de comportement. Face à plusieurs personnes, l'idée consiste à adapter la communication à chacune si ce sont des profils complexes, mais surtout d'identifier leurs enjeux communs.

Marwan Mery se souvient ainsi d'une négociation lors de la rupture d'un pacte d'associés, dont l'un d'eux s'est révélé psychopathe, (ce qui se caractérise entre autres par un manque d'empathie et de culpabilité), schizoïde (désintéressé des relations humaines) et paranoïaque (soumis à un sentiment de persécution). Si ces troubles sont relativement rares, il assure que la psychopathie se retrouve plus fréquemment au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie, et que la paranoïa peut être assez fréquente chez les leaders syndicaux.

Le fait de comprendre le profil de l'associé lui a ensuite permis d'identifier ses croyances un peu complotistes et de voir qu'elles étaient liées à son appartenance à une communauté spirituelle, qui était donc son groupe principal d'appartenance : deux autres critères importants à repérer.

Emmanuelle Braun


En revanche, il faut faire attention à ne pas attaquer ces croyances, ni les émotions de la personne - une des rares choses selon lui sur laquelle on peut avoir une prise chez l'autre. Mais pour cela, il faut être capable de stabiliser les siennes. Lui recourt à la technique de l'ancrage. Cela consiste à se dire que même si l'issue de la négociation est défavorable, ce à quoi le négociateur tient le plus - en l'occurrence, sa famille - ne sera pas affecté.

La négociation, ce n'est pas de la vente

En revanche, cela ne sert à rien d'argumenter. En effet, négocier n'a rien à voir avec chercher à convaincre ! Donc, insiste Marwan Mery, : « la vente, c'est la capacité à répondre à un besoin, donc à convaincre. En négociation, cela cristallise les tensions pour rien car il n'y a rien à vendre : c'est de la gestion de conflits. Il faut de l'appétence au conflit, alors qu'on peut s'en passer en vente. Il y a cependant un terreau commun : la psychologie et les relations humaines ».


Se justifier est aussi contreproductif selon lui : « on perd l'ascendant. Il faut parler peu, 20% du temps, et chercher à comprendre l'autre. Mais rarement dire non frontalement, sinon la discussion s'arrête là. On cherche à comprendre l'enjeu véritable, qui souvent n'a rien à voir avec la position affichée. Le plus important, c'est de chercher à induire le changement, ce qui nécessite des techniques d'influence ». Dans les négociations de vente, sur un prix ou des conditions d'achat, si l'argumentation peut être nécessaire, il recommande des questions de validation au préalable.

Marwan Merry se souvient de ses sept années de négociateur face à la grande distribution : on l'a insulté, on lui a lancé son manteau à la figure, on l'a placé de façon à ce qu'il soit aveuglé par le soleil... Mais il dit s'en être tiré pour plusieurs raisons : son appétence au conflit, le fait qu'il ne se laisse pas déstabiliser, qu'il soit capable de rétorquer et, surtout, le fait qu'il voit cela comme un jeu.

Autre point central : pour bien négocier, il faut obtenir le maximum d'informations et s'assurer qu'elles sont qualifiées. Il se souvient ainsi de la négociation pour l'achat d'une usine dont le propriétaire semblait très porté sur l'écologie et la RSE. Le négociateur pensait que son client obtiendrait la vente, car il présentait plus de garanties sociales que ses concurrents. "Mais la vente m'a échappé, car je suis resté sur la vitrine », avoue-t-il. De fait, le propriétaire n'avait pas en réalité de fibre sociale. « Des informations de façade ne sont pas des informations qualifiées. Une information doit être vérifiée et vérifiable », conclut-il.

 
Je m'abonne

NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles

La rédaction vous recommande

Retour haut de page