Continuer à vendre pendant le confinement (2/2) : adapter sa relation client et sa prospection
Depuis plus de deux semaines, les Français sont en confinement, et de nombreuses entreprises en baisse d'activité. Comment continuer à faire travailler ses commerciaux depuis chez eux, et les garder motivés malgré la baisse du chiffre d'affaires ? Éléments de réponse.
Je m'abonneUne fois que les équipes de vente se sont habituées au télétravail et que les managers ont adopté les bonnes méthodes de management, il reste au service commercial à gérer l'altération de l'activité. Formation, réorganisation commerciale... le ralentissement économique peut être l'occasion de mettre en oeuvre des chantiers pour lesquels le temps manque normalement.
Changer les interactions avec prospects et clients
Même équipé pour travailler à distance, difficile dans les conditions actuelles de faire agir les équipes commerciales comme en temps normal. Du côté de Cegid, elles ont été challengées par une offre spéciale lancée au moment du confinement, puisque l'entreprise a offert aux 40% de ses clients qui n'hébergeaient pas leurs données sur le cloud de l'éditeur d'y migrer gratuitement pour trois mois.
Outre la performance des équipes techniques, les commerciaux ont dû apprendre très rapidement, alors qu'ils étaient déjà en télétravail, les détails de cette nouvelle offre pour la présenter aux clients. "Il y a eu une heure et demie de réunion sur Teams pour la présenter. Ensuite nous avons mis en place un point d'étape tous les jours, ainsi qu'un partage des KPI en visioconférence", explique Stéphane Da Mota, directeur commercial de la BU Experts-comptables et TPE.
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Reste que la situation n'est pas idéale pour la prospection. Les entreprises doivent alors trouver des alternatives. Pour la start-up de distribution de carburant Tankyou, "les commerciaux se sont tournés vers la donnée : quelles catégories d'entreprises restent ouvertes ? Ensuite, c'est un travail à partir des codes NAF, qui servent à établir des listings, faire du marketing automation", explique le cofondateur Ashley Poniatowski.
Surtout, toute l'équipe, aussi bien les responsables de comptes que les chasseurs, qui constituent les trois quarts de l'effectif, s'est vue réattribuer une partie des 400 comptes clients pour les appeler régulièrement. "Nous voulons avoir une expérience client très personnalisée, leur montrer que nous sommes là pour les accompagner. Ces appels nous permettent aussi d'ajuster les livraisons, mais cela permet surtout de garder un lien avec nos clients", explique-t-il.
Cegid agit un peu selon le même principe. Les chasseurs ont également pour mission d'établir des liens avec les prospects, "pas pour faire du business, mais pour apporter de la valeur, échanger avec eux. Pas seulement sur les offres Cegid, mais aussi sur les enjeux actuels. Et beaucoup de prospects nous demandent de les recontacter une fois la crise finie", assure Stéphane Da Mota.
Revoir son organisation commerciale
Mais de l'aveu du cofondateur de Tankyou, "il n'y a pas suffisamment d'activité pour occuper les chasseurs avec uniquement de la prospection". Chez Cegid, l'heure est à la formation intensive, faire en sorte que les commerciaux soient encore meilleurs, approfondir des thématiques qu'ils n'ont pas eu le temps de voir.
Pour Saïf M'Khallef, coach du cabinet de conseil en management Akor Consulting, "l'heure n'a jamais été autant propice à la formation. Quand la reprise adviendra, il n'y aura plus de temps pour cela, car il faudra rattraper le chiffre d'affaires en retard."
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Stéphane Da Mota (Cegid) organise également avec ses commerciaux des sessions qu'il a nommées "Ranger sa chambre" : "une journée sur le CRM à améliorer la data quality, à faire du tri, de l'analyse, de la mise à jour", dévoile-t-il. Le service RH a également mis en place des modules de formation à distance sur les bonnes pratiques du télétravail.
Passé les premiers jours et la nouveauté du travail confiné, Tankyou a voulu donner un regain de motivation à ses vendeurs. La start-up organise donc des travaux de groupe sur des thématiques telles que le discours commercial, la remise à jour des cas d'usage, la réflexion sur l'attractivité commerciale du site internet. "Un commercial est responsable de chaque atelier : gestion du temps, compte rendu et suivi des actions, qui doivent dépasser le confinement. Cela permet de les investir beaucoup plus, de leur demander d'être autre chose que des closeurs, d'être dans la réflexion sur l'organisation commerciale", explique Ashley Poniatowski.
Saïf M'Khallef d'Akor Consulting confirme que les commerciaux en ont souvent ras-le-bol de n'être que des exécutants. "Là, c'est le moment idéal de les impliquer plus", défend-il.
L'onboarding en période de confinement
Malgré une période compliquée, les embauches ne sont pas forcément au point mort. Or, comment recruter et onboarder des salariés quand tout le processus doit se faire à distance ?
Pour Sylvestre Ledru, manager d'ingénieurs chez Mozilla, "il est important d'avoir un mentor qui peut guider, ainsi que des documents avec toutes les informations." Il faut aussi de nombreuses réunions pour présenter les recrues aux autres salariés, aux enjeux de l'entreprise, "et créer des occasions de parler avec des collègues et des managers", poursuit-il.
Veeva, entreprise qui a développé des logiciels pour l'industrie pharmaceutique avant d'élargir au secteur de la cosmétique et de la chimie, a recruté un nouveau responsable du secteur cosmétique, en charge de la partie commerciale, mais aussi de la définition de nouveaux produits.
Le directeur général France, Romain Marcel, explique que "l'entreprise a l'habitude du remote donc le process est bien établi. Il y a des jalons sur les 30 / 60 / 90 premiers jours : documents à lire, tâches à effectuer, endroits où se rendre sur le serveur, personnes à contacter. Quand c'est fait, le nouveau salarié coche l'action dans un fichier. L'idée n'est pas de contrôler mais de lui donner des directions à suivre. Le pire, à distance, c'est de n'avoir rien à faire ou ne pas savoir que faire".
Pour l'occasion, il prévoit des points beaucoup plus réguliers avec son nouveau responsable, pour compenser une présence continue au bureau les deux premières semaines. "Il faut s'assurer que les gens savent ce qu'il y a à faire au niveau plus micro mais pas faire du micromanagement. Le supérieur doit aller dans le détail quand il donne des tâches, sur ce qui est attendu et à quoi doit ressembler le rendu, parce qu'il y a moins de possibilités d'interactions", affirme-t-il.
Cegid avait aussi plusieurs embauches planifiées pour le mois d'avril et, de son côté, Stéphane Da Mota a choisi de maintenir la demi-douzaine d'arrivées prévues. "Je ne veux pas risquer de ne pas avoir les équipiers dont j'ai besoin quand adviendra la reprise", assure-t-il. En plus du parcours d'e-learning classique, l'entreprise a mis sur pied un parcours spécial avec l'intervention de plusieurs managers et décideurs de l'entreprise. Et, comme chez Veeva, les salariés sont invités à venir se présenter virtuellement aux nouvelles recrues pour les accueillir et leur permettre de découvrir l'entreprise.
Réfléchir à l'avenir de la vente
Passer en vente à distance change la façon dont les commerciaux BtoB pratiquent la vente conseil. C'est le moment de revoir ses pratiques, par exemple en apprenant à se concentrer sur le langage paraverbal de son interlocuteur, à décrypter son schéma de pensée, ses filtres de perception, comme le conseille Saïf M'Khallef d'Akor Consulting.
Au-delà de la gestion immédiate de la crise, la situation actuelle peut être l'occasion de s'interroger sur l'évolution de ses forces de vente, et du monde de la vente en général. "Nous vivons des mutations profondes de la société, les modèles de vente vont être impactés, explique le coach. C'est le moment de s'amuser à bricoler des choses, à innover", conclut-il.