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DossierNégociation commerciale : adoptez la bonne stratégie

Publié par Bénédicte Gouttebroze le

4 - [Tribune] Une négociation décryptée

À travers l'analyse d'une scène de la vie quotidienne, Pascal Brassier, enseignant-chercheur en management commercial et négociation à l'ESC Clermont, met en évidence les cinq obstacles majeurs de la négociation et démontre les bonnes attitudes à adopter.

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William Ury, du Program on negotiation de la Harvard Law School, célèbre coauteur, avec Robert Fisher, d'un ouvrage sur l'approche gagnant-gagnant, met en évidence toute une série de difficultés fréquentes en négociation(1). Les plus flagrantes sont souvent créées par nos propres comportements, ceux de notre interlocuteur ou les nôtres.

Elles tiennent en cinq mots : positions, domination, réactions, émotions et frustrations.

Témoin d'une scène, dans un train, entre un contrôleur et un voyageur qui ne peut justifier son tarif réduit, je ne peux m'empêcher de penser que les deux acteurs illustrent parfaitement l'ensemble du processus de la négociation. L'exemple vaut la peine d'être relaté et analysé.

Dans cet exemple, les deux protagonistes passent par les cinq stades évoqués plus haut, avant d'aboutir à l'échec de l'un et au succès de l'autre. Non grâce à son pouvoir officiel, mais grâce à la façon dont il a géré ces cinq pièges.


1. Défendre sa position de départ

La position de départ est un premier piège énorme… mais si vite oublié. De toute évidence, le client savait qu'il ne pouvait pas justifier sa réduction. Il avait préparé son argumentaire.

Le contrôleur lui oppose avec douceur plusieurs options : a-t-il essayé de le prévenir au préalable, comme c'est la règle ? A-t-il bien cherché son justificatif dans ses bagages ? Pas de position de départ, on le voit, chez le négociateur chevronné.

En revanche, le négociateur affaibli campe très vite sur ses positions : il est dans son bon droit… alors que le droit lui donne tort. Parlons de droit moral, alors. Oui, mais même là, le contrôleur le prend en défaut, en utilisant ce que nous appelons, en vente, la référence client : « Demandez aux autres clients, eux qui ont fait le nécessaire ; Monsieur par exemple, ou Madame, qui a la même réduction que vous... Puis-je pénaliser leur effort ? Non. »

L'objectif de ce premier franchissement d'obstacle est donc de montrer que la position de départ ne tient pas. Pour cela, sans émotivité mais avec des faits et des critères objectifs, le contrôleur reconstruit le cadre de la négociation.


2. Dominer, ou être dominé ?

Le deuxième piège vient vite pour le client : « Je vais me plaindre, je sais qui appeler, etc. », faisant ainsi appel à un hypothétique pouvoir supérieur, hors de la table des négociations, comme toujours. Il est dans l'escalade irrationnelle.

La chausse-trappe est pourtant évidente : le contrôleur a pour lui un cadre légal strict, voire encombrant pour sa relation client. Il s'en sort très vite, avec subtilité d'ailleurs : il se repositionne dans ce cadre légal, mais en valorisant son rôle autant que la position de son client.

Quelques exemples de ses arguments avec leur analyse : « Comprenez-moi [appel à l'empathie], chacun ici sait comment bénéficier de cette réduction [références partagées], vous aussi [second appel]. Mon rôle ne consiste pas à vous sanctionner ou à vous mettre en difficulté [dédramatisation] ; je suis payé pour vérifier que tout est conforme [appel normatif] pour tous les passagers de ce train [références], pas pour vous ennuyer, etc. »

Le tout est fait avec amabilité mais fermeté, donc sans recherche de domination ou d'affirmation de son pouvoir formel. Mieux : j'apprends qu'il a, je le cite, « un ponte de la compagnie » qui lui a demandé, d'un signe de tête, s'il voulait son intervention, qu'il a déclinée très discrètement.

Le deuxième franchissement d'obstacle vise, par conséquent, à ne pas jouer le jeu du pouvoir, mais à établir la preuve que la demande est solidement fondée, et que la position du client doit bouger.


3. La machine à réaction humaine

Se sentant pris au piège, le client est alors dominé, mais par son instinct primaire de défense : sous la pression, le stress, le sentiment de danger, nos réactions deviennent fortement émotionnelles, et prennent le contrôle de notre cerveau.

Le client cesse alors de raisonner : « Mais c'est inadmissible [par qui ?], etc., les retards [quel rapport ?], etc., vous voyez bien que je suis de bonne foi [ah bon ?], ça ne va pas se passer comme ça [vieux classique éculé], etc. » En l'occurrence, j'assiste à un cas d'école : domination ratée + sensation de perte de pouvoir = escalade irrationnelle et réaction émotionnelle.

En face, le contrôleur garde le même ton doux, mais ferme. En revanche, il change de réaction lui aussi : plus d'argument (son client ne l'écoute plus), première rupture de la négociation (qu'il n'avait pas commencée, rappelle-t-il), et là, magnanime : « Je vous laisse un instant pour voir comment vous voulez procéder ; je ne veux pas vous mettre en difficulté, comprenez qu'il est de mon devoir d'agir, et que je me dois de m'occuper aussi des autres passagers, etc. »

Franchir le troisième obstacle consiste à ne pas entrer dans la spirale émotionnelle, mais en même temps à ne pas argumenter contre des émotions. Cerveau droit (siège des émotions) et cerveau gauche (siège de la raison) communiquent très mal dans ces cas-là.


4. Le poids des émotions négatives

On le voit, se laisser emporter par ses émotions revient surtout à laisser les plus négatives d'entre elles prendre les commandes. Le client glisse donc dans la colère, l'agressivité, ou bien dans l'affliction et le désespoir, selon les circonstances. En réaction, le contrôleur joue la carte de l'étonnement, du miroir et de la prise à témoin modérée.

Étonnement : il exprime en effet sa surprise de voir le client à ce point touché… par son propre défaut.

Miroir : il rappelle en quelques mots la genèse de son problème, et résume les conséquences néfastes de l'entêtement, mais aussi la facilité de leur échapper (une jolie question alternative de conclusion : « Comment voulez-vous faire: régler ceci, ou acquitter la pénalité ? »). Il le replace ainsi face à son comportement.

Témoins : il fait constater, mais pas de manière outrancière, qu'il ne peut décemment pas passer ainsi un quart d'heure avec chacun des 350 passagers du train, et que ses voisins de sièges paraissent quelque peu gênés de la situation.

Le quatrième franchissement se situe plutôt dans la dédramatisation et la responsabilisation : est-ce bien raisonnable ? D'où tout ceci est-il parti ? Voyez-vous que l'issue est finalement facile, et que nous éviterons donc les désagréments, vous et moi ? À défaut, on peut passer le relais à un tiers, collègue, supérieur hiérarchique, médiateur, avec lequel la relation émotionnelle, nécessairement cristallisée ici sur le contrôleur, aura moins de prise.


5. Passer ses frustrations

Finalement, pour le client, de plus en plus éloigné d'une possible victoire dans cette négociation compétitive, il ne resterait plus qu'à abandonner les attitudes émotionnelles et à s'avouer vaincu… s'il lui était demandé de le faire. Or, le contrôleur retourne à son point de départ : son rôle, sa volonté de remplir sa tâche de son mieux, et la discrétion dans l'acte douloureux pour le client qui consiste à conclure la négociation.

En l'occurrence, payer.

On se rend compte que, plus souvent qu'on ne le croit, tous les négociateurs ne cherchent pas correctement leur satisfaction, ou ne savent pas l'identifier. Ils s'y prennent d'une manière telle qu'ils construisent leur échec, comme dans ce cas précis. En plus de cela, ils peuvent aussi ne pas voir en quoi ils auraient pu échouer plus gravement, ou gagner moins, ou trop tard, etc., selon les contextes.

Cette impression réside dans la frustration d'avoir reculé, la peur de perdre la face, ou encore l'incapacité à clairement avoir mesuré ses objectifs et ses gains.

Un objectif pour franchir le cinquième obstacle : calmer le jeu, dégonfler la baudruche émotionnelle, passer à autre chose.

En définitive, nous préparons tous nos négociations, n'est-ce pas ? Et plus elles sont complexes, plus nous fourbissons nos armes. Pourtant, il est si facile d'oublier les nombreux pièges qui ne relèvent pas de l'argumentation ou d'autres points techniques.

Où se cachent ces pièges ? Dans nos attitudes et nos réactions. Nous sommes humains, après tout. Cela recèle autant de richesses que de sources de complexité.

(1) D'après Jon Elster, « L'usage stratégique de l'argumentation», Négociations, 2005/2 N° 4, p. 59-82.


Bio express

Pascal Brassier est enseignant-chercheur en management commercial et négociation depuis 2002. Titulaire de la chaire en développement commercial du groupe ESC Clermont, il est, par ailleurs, fondateur du Conseil scientifique des DCF. Il a publié en 2011 Management de la force de vente, avec Alfred Zeyl et Armand Dayan (Editions Pearson).

Dossier réalisé à partir des articles parus dans Action Commerciale et Actionco.fr

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